Entre dialogue et décalage : l’extension de l’Unithèque à l’épreuve de son modèle
Mathias Rouiller et Meg Varone

Aménagement provisoire lors de l’ouverture du 26 mai 2025.
Un héritage à prolonger
Située au cœur du campus de Dorigny, l’Unithèque représente un emblème dans le paysage universitaire de Lausanne. Conçue par Guido Cocchi en 1983, elle incarne un geste architectural fort, mêlant paysage, avec son panorama sur le lac et les alpes et volumétrie, comme son implantation en amphithéâtre suivant la topographie de la parcelle. Avec l’essor démographique de l’Arc lémanique et l’augmentation du nombre d’étudiants à l’UNIL, une extension devenait indispensable pour répondre aux besoins des utilisateurs. Pour se faire, l’État de Vaud et l’UNIL prévoient de construire une extension visant à multiplier par deux la capacité du bâtiment existant. Lors du concours, certains architectes ont choisi de respecter l’extension proposée par Cocchi, en s’inscrivant à l’arrière du bâtiment existant. D’autres, en revanche, ont pris le parti du détachement, abordant le projet comme une occasion d’introduire une nouvelle architecture.
Le bureau Fruehauf, Henry & Viladoms, lauréat du concours, relève ce défi en proposant une intervention qui prolonge l’esprit du bâtiment, en s’implantant à l’arrière tout en apportant des réponses actuelles aux exigences contemporaines. Cet article propose d’en analyser les concepts à travers quatre axes de lecture : implantation, typologies, échelles et atmosphères.
Entre effacement et mise en scène
L’extension de l’Unithèque s’inscrit dans une démarche attentive à la logique d’implantation du bâtiment original conçu par Guido Cocchi. À l’époque, l’architecte prévoyait que la bibliothèque puisse s’agrandir dans le temps. Il rejetait l’idée d’une prolongation du bâtiment en arc de cercle, estimant qu’elle créerait des parcours excessivement longs et peu fonctionnels. Il proposait au contraire un agrandissement à l’arrière, dans le prolongement naturel de la pente.
Le projet respecte cette vision en implantant le nouveau volume en retrait et dans la continuité de la topographie. Loin de détourner l’attention de la façade lacustre emblématique, il préserve son rôle principal dans le dispositif du campus. L’extension reprend la volumétrie en éventail du bâtiment existant, lui permettant de s’intégrer dans l’ensemble sans chercher à rivaliser formellement.
Le nouveau geste architectural reste conséquent mais presque invisible depuis les espaces publics principaux, dans une volonté affirmée de ne pas perturber le caractère paysager du site. En plan comme en coupe, le bâtiment devient un seul corps continu, articulé autour de la pente, où les deux parties se rejoignent. Cette intégration topographique rend la transition fluide entre l’existant et le nouveau, tout en prolongeant l’esprit de discrétion défendu par Cocchi.


En haut l’Unithèque telle que conçue par l’architecte Cocchi, en bas le chantier de l’extension à l’arrière du bâtiment.
Terrasses, transitions et clarifications spatiales
Le plan de l’extension s’inscrit dans la continuité du schéma en éventail développé par Cocchi, dont la géométrie répondait déjà à une logique de rationalisme structurel et d’optimisation des vues. Ce choix permet non seulement une résonance formelle à l’existant, mais il prolonge aussi l’organisation extérieure en terrasses, véritable enjeu typologique du projet initial.
L’espace se développe à partir d’un nouveau parcours qui débute dès l’entrée principale et guide l’usager à travers une succession de plateaux organisés en cascade. Cette nouvelle circulation intérieure offre une transition fluide vers l’extension tout en mettant en scène la pente naturelle du terrain.
Le lien entre les deux bâtiments n’est pas seulement structurel ou fonctionnel : il devient perceptible par des jeux d’ouvertures notamment sur le plateau reliant existant et extension et par la mise en scène d’un balcon intérieur créant un dialogue visuel entre les niveaux supérieurs. Ce système contribue à maintenir une certaine cohérence typologique, sans renoncer à une réinterprétation contemporaine des logiques d’usage.

La proposition d’agrandissement de Cocchi qui s’inscrit à l’arrière de l’existant,

Le plan lauréa par le bureau Fruehauf, Henry & Viladoms.
Entre bibliothèque de proximité et geste institutionnel
L’architecture de Cocchi adopte une échelle modeste où les portées sont limitées. L’espace y est dense, feutré, à taille humaine, renforçant le caractère accessible du lieu. L’extension s’inscrit dans une autre logique. Si elle reprend la structure en terrasses, elle adopte une échelle plus institutionnelle. Les grandes portées, la hauteur des volumes, la dissimulation des éléments techniques évoquent davantage l’univers muséal que celui d’une bibliothèque et la filiation avec le nouveau MCBA semble équivoque. L’absence de vue sur le lac, compensée par la générosité des volumes intérieurs, révèle une volonté de créer une forme de monumentalité intérieure.
La suppression du campanile initialement prévu a recentré le projet sur une volumétrie plus contenue. Ce retrait contribue paradoxalement à renforcer la cohérence d’échelle avec l’ensemble existant, tout en évitant une surenchère formelle. À la place, pour marquer le nouvel accès au bâtiment, un portique d’entrée a été aménagé. Il vient remplacer l’entrée initiale, désormais trop petite et inadaptée à l’échelle du nouvel ensemble.
Initialement estimée à 71 millions, la facture finale de l’extension de l’Unithèque pourrait atteindre 98,2 millions de francs, suite à trois crédits supplémentaires accordés par le Conseil d’État vaudois. Les raisons de cette hausse tiennent à des imprévus géologiques, à des coûts de construction sous-évalués, mais aussi à des choix qualitatifs : augmentation du recours au bois, amélioration du traitement de l’air pour les collections patrimoniales, et extension du champ photovoltaïque initialement prévu.

L’ambiance domestique de l’ancienne bibliothèque.

La monumentalité du nouveau projet avec ses portées de plus de 30 mètres.
Du domestique au public
Dans le bâtiment original, l’ambiance est chaleureuse : moquette orange, détails en bois, lumière diffuse. Cocchi rend visible la technique de l’édifice, dans une logique presque didactique, où l’étudiant comprend l’espace qu’il occupe comme si le bâtiment était un livre ouvert qu’il peut consulter. (Nadja Maillard, 2013)
A l’inverse, l’extension adopte une matérialité plus brutale marquée par la dominance du béton, des teintes neutres et un systèmes technique dissimulé. Selon les architectes, quelques éléments en bois viennent nuancer cette atmosphère : les mains courantes, le mobilier et le plafond du desk. Néanmoins, leur présence reste très ponctuelle. Ce choix, arrivé tardivement pendant l’exécution, répond autant à des contraintes budgétaires qu’à une volonté d’instaurer une ambiance chaleureuse à l’ensemble très minéral du projet. On assiste alors à une forme de non-choix dans l’expression de la matérialité, qui révèle une atmosphère faite de compromis, ni réellement affirmée ni vraiment contextuelle. Peut-on encore y reconnaître l’esprit de l’UNIL ?
L’utilisation du métal dans les étagères, mise en place pour des raisons de délai et de conservation des ouvrages, reprend certes la matérialité des rayonnages du bâtiment initial. Pourtant, la perception générale diffère : d’un lieu chaleureux et convivial, on passe à un d’espace monumental et glacial.
Une continuité interprétée
L’extension de l’Unithèque ne s’inscrit ni d’une rupture radicale, ni d’une imitation servile. Elle s’inscrit dans un dialogue critique avec l’existant, prolongeant certaines intentions fondatrices, ancrage topographique, géométrie en éventail ou encore une organisation en terrasses, tout en assumant une nouvelle matérialité, une échelle amplifiée et une atmosphère résolument institutionnelle.
Plutôt qu’un prolongement littéral, le projet propose une relecture contemporaine des besoins universitaires : accueillir un plus grand nombre d’usagers, intégrer des fonctions complémentaires, répondre à des normes techniques plus complexes. Il incarne une vision ambitieuse de l’espace académique. Toutefois, cette ambition soulève des interrogations.
Est-il nécessaire de déployer un tel dispositif spatial pour répondre aux usages ordinaires d’une bibliothèque ? Une telle monumentalité est-elle justifiée, ou risque-t-elle de créer une distance symbolique entre l’architecture et ses usagers ?
Cela dit, la visite in situ nuance ces réserves. Ce que l’on pouvait craindre d’étouffant ou de démesuré à la lecture des plans, se révèle, dans l’expérience sensible de l’espace, étonnamment accueillant. La lumière, la clarté des volumes et la fluidité des parcours offrent un cadre de travail à la fois impressionnant et serein. On s’y projette aisément comme étudiant, porté par une spatialité généreuse, silencieuse et maîtrisée.
Reste à savoir ce qu’en diront les véritables usagers : les étudiants eux-mêmes, lorsque l’ensemble du bâtiment, extension et rénovation comprise, sera pleinement accessible et pourra être vécu au quotidien. C’est sans doute là que se jouera, en définitive, le véritable verdict architectural qui a débuté en mai dernier par l’ouverture partielle de l’espace.
Sources
BAUMANN, Adrian, 2023. Le chantier de l’Unithèque se dévoile. BCUL [en ligne]. 30 août 2023. Disponible à l’adresse : https://www.bcu-lausanne.ch/la-vie-a-la-bcul/le-chantier-de-l-unitheque-se-devoile/
BONARD, Clément et ATS, 2024. Université de Lausanne : Nouvelle hausse des coûts des travaux de la « banane » . 24 Heures [en ligne]. 19 janvier 2024.
Disponible à l’adresse : https://www.24heures.ch/universite-de-lausanne-nouvelle-hausse-des-couts-des-travaux-de-la-banane-689069861067
Competitions Espazium, 2015. Extension du bâtiment Unithèque à Dorigny, une nouvelle bibliothèque pour l’Université de Lausanne. [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://competitions.espazium.ch/fr/concours/decides/extension-unitheque-dorigny-nouvelle-bibliotheque-universite-lausanne
MAILLARD, Nadja, 2013. L’Université de Lausanne à Dorigny.
ISBN 978-2-88474-280-1
SUISSE, Radio Télévision, 2015. La bibliothèque universitaire lausannoise va s’agrandir à Dorigny. rts.ch [en ligne]. 2 février 2015. Disponible à l’adresse : https://www.rts.ch/info/regions/vaud/6508792-la-bibliotheque-universitaire-lausannoise-va-sagrandir-a-dorigny.html
SUISSE, Radio Télévision, 2024. La facture de l’agrandissement de la « Banane » ne cesse de gonfler. rts.ch [en ligne]. 19 janvier 2024. Disponible à l’adresse : https://www.rts.ch/info/regions/vaud/14637745-la-facture-de-lagrandissement-de-la-banane-ne-cesse-de-gonfler.html
POEL, Cedric van der, 2016. Le poids de l’histoire. [en ligne]. 30 mars 2016.Disponible à l’adresse : https://www.espazium.ch/fr/actualites/le-poids-de-lhistoire
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