Situé sur les hauteurs de Lausanne, à Chavannes-près-Renens, le Vortex se veut une réponse emblématique à la densification universitaire et à la crise du logement étudiant. Mais derrière l’ambition affichée et la puissance du geste architectural se cache un projet aux limites évidentes, tant sur le plan de l’aménagement urbain que de la qualité des espaces paysagers.
Izadora Botelho & Tulay Basagac
Un village en spirale
Cet immeuble destiné au logement étudiant, est né d’une décision politique visant à soutenir la candidature de Lausanne pour accueillir les Jeux Olympiques de la Jeunesse (JOJ) 2020. Il devait loger 1 700 athlètes avant d’être transféré à l’université de Lausanne pour un usage à long terme. Dürig, l’architecte en charge de ce projet, avait pour objectif principal de créer une architecture favorisant la cohabitation entre les habitants. Il parle de village-rue et cite dans le livre « Le Vortex: l’architecture du cercle », p.149:
« Certains villages sont organisés autour d’une place ou d’une église, et d’autres se forment le long d’un chemin de deux kilomètres, qui est aussi une spirale ».
L’architecte laisse entendre que la volonté architecturale était d’ordre typologique et non volumétrique. Il développe ainsi un projet de bâtiment à cour et coursives ciruclaires, des dispositifs qui, par leur forment, invitent à habiter un centre. Le concept est renforcé par l’appelation « Vortex » : ce therme évoque une architecture centripète et dynamique, qui aspire les flux humains ver un centre attractif, comme un point de convergence sociale.
Historiquement, les villages construits en cercle favorisent l’égalité et la centralité dans la manière de vivre. Cette disposition encourage l’inclusion, la communication et la visibilité mutuelle. La cour, quant à elle, offre un espace semi-public propixe aux rencontres dans un cadre sécurisé. Socialement, ces aménagements renforcent le sentiment de communauté.
Cependant, regrouper un village en cercle touche un aspect fondamental de l’architecture : celui de délimiter, de créer un « dedans » et un « dehors ». Cette forme est souvent été utilisée comme une mesure défensive, une manière de se protéger des dangers extérieurs. Elle crée une proximité à l’intérieur des remparts, mais induit également une séparation vis-à-vis de la ville environnante.
Dans le projet du Vortex, nous allons analyser comment ces dispositifs architecturaux, visant à orienter la vie sociale vers le noyau central, sont vécus par les usagers, et comment le bâtiment interagit avec son environnement.
Les limites du concept
Nous sommes allés sur place pour comprendre comment se vit le Vortex. Les entretiens avec les habitants et les commerçants nous ont permis d’évaluer si le projet, qui vise à animer un village le long d’un chemin, est réalisable grâce aux dispositifs architecturaux imaginés par Dürig.
Nous avons remarqué que le bâtiment actuel, avec ses coursives extérieures, semble parfaitement adapté pour accueillir des étudiants à long terme. Ces derniers apprécient généralement les lieux calmes, tout en favorisant les échanges. Malgré certaines réserves concernant le manque d’intimité causé par le passage sur les coursives, les étudiants interrogés ont généralement exprimé une perception positive. Ils ont souligné la qualité architecurale du bâti, la bonne isolation phonique, ainsi que l’utilité sociale des coursives.
«J’aime bien vivre ici, c’est beau. Ma chambre donne sur la cour et je trouve ça agréable. Les chambres sont bien isolées, on entend pas beaucoup de bruit.»
— Boris, étudiant
«Je suis sur la coursive arrière, du coup il y a moins de passage. Mais je trouve que c’est un équilibre, un accès facile, où on peu s’arrêter pour paporter si on voit des amis»
— Thibau, étudiant
Les utilisateurs du vortex expriment une satisfaction générale quant à la localisation privilégiée du site, bien que la place centrale soit négligée. Lorsqu’ils sont interrogés sur l’usage de la cour et la vie sociale au sein du bâtiment, les habitants soulignent une absence de qualité paysagère et de dynamisme collectif au sein de la résidence.
«Je ne me pose pas trop dans la cour. Je me sentirais observé, et il y a souvent du vent. Il y a des endroits plus intéressants à proximité.»
— Thibau, étudiant
«Quelques étudiants se posent deux ou trois fois par jour quand il fait beau. Je ne vois aucune acitivié se passer ici, et l’aménagement paysager est complétement à l’opposé des politiques de l’UNIL. Là-bas, ils laissent les herbes hautes, peu tondues, pour favoriser la biodiversité. Ici, il gèrent le bâtiment de façon très différente. Nous, on fait de la résistance, on fait pousser quelques plantes devant notre local. On essaye de faire changer les choses à ce niveaux-là.»
— Antoine, commerçant au rez-de-chaussée
Bien que le Vortex soit apprécié par un grand nombre d’étudiants, l’usage de son aménagment urbain soulève néanmoins quelques questions. Par son geste architectural fort et l’ambition portée par sa forme emblématique, le Vortex répont certes à la crise du logement étudiant, mais révèle également les limites évidentes imposées par cette géométrie imposante.

Vue aérienne du Vortex, ©Fernando Guerra | FG+SG
Une forme emblématique, mais peu contextuelle
Cet objet circulaire, remarquable d’un point de vue visuel, crée une rupture nette avec le tissu urbain environnant. Agissant comme une forme d’autorité, cet anneau de 130 mètres de diamètre évoque un village fortifié, replié sur lui-même. Sa monumentalité concave rompt tout dialogue avec le campus universitaire, la ville voisine ainsi que les espaces naturels alentour, comme la forêt.
Initialement pensés pour animer le projet et générer une dynamique urbaine en lien avec le voisinage, l’idée des commerces en rez-de-chaussée est également un moyen de rencontre pour les étudiants. Toutefois, ces espaces, accessibles depuis la cour centrale, ne sont pas véritablement mis en valeur. Les trois entrées du bâtiment, assez discrètes et peu aménagées, n’invitent pas le public dans ce complexe de manière à enrichir les commerces.
«There’s a lack of social spaces, we don’t really know our neighbors at all. We don’t meet people, and there’s no place to sit outside next to the café»
— Tanvi et Bearnaird, étudiants
Le bâtiment semble s’auto-suffire, mais cette absence d’ouverture à l’extérieur, cette fermeture sur lui-même, contribue malheureusement au non-fonctionnement de ces espaces commerciaux en limitant leur attractivité, comme en témoigne la fermeture de la terrasse située en toiture. Cette centralité et cette fermeture de son aménagement illustrent un projet sans communication directe avec les usagers.
Le bâtiment manque d’articulations fines avec les espaces publics ainsi qu’avec les abords immédiats. Au sein du bâtiment, des seuils, des transitions ainsi que des lieux de rencontre ou de travail aux étages, où les étudiants peuvent s’approprier les espaces, pourraient créer une interaction avec les usagers internes et externes, faisant du Vortex un véritable morceau de ville. Ces remarques nous rappellent l’intention de Dürig, telle que formulée dans l’ouvrage «Le Vortex Architecture du cercle» p.150
« Nous avons plutôt cherché à trouver une architecture permettant de faire cohabiter les gens. »
Une cour centrale surdimensionnée… mais sous-exploitée
Le cœur même du Vortex, cette immense cour intérieure, reflète les limites d’un espace mal aménagé et difficilement appropriable. Pensée comme un espace communautaire, cette cour généreuse, aux dimensions quasi urbaines, crée une échelle disproportionnée qui tend à intimider plutôt qu’à inviter les usagers à s’y installer. Le manque d’aménagements adaptés, l’absence de plantations structurantes ou de zones ombragées contribuent à faire de ce lieu un espace minimaliste, presque stérile, dont l’usage et l’appropriation par les étudiants demeurent difficiles.
Dans le contexte paysager, le Vortex semble se refermer sur lui-même. Il ne tisse aucun véritable lien avec son environnement et tourne le dos à la ville. Tout paraît se jouer à l’intérieur du bâtiment ou ailleurs sur le campus. Ce manque d’ouverture se fait ressentir dans l’usage du lieu : la cour reste vide, ou en tout cas, elle ne contribue pas autant qu’on pourrait l’espérer à une vie communautaire étudiante.
La place centrale, qui historiquement servait d’espace d’expression démocratique, de marché, de fête ou de protestation, reste en marge de la vie sociale du Vortex. Ce «forum vivant», qui devait être le point de rencontre central des étudiants, ressemble malheureusement plus à un symbole qu’à un espace réellement actif et unificateur.

Rendu image 3D du projet , © Courtesy of Dürig AG

Photo de la cour du Vortex, avril 2025, © Izadora Botelho
Une cour habitée, «critique réparatrice»
Si l’espace central est vide, pourquoi ne pas envisager de renouer avec l’histoire agricole du site pour lui redonner vie ?
En aménageant des jardins sauvages, en laissant pousser des herbes hautes et en permettant aux animaux de vagabonder librement, on pourrait atténuer la rigidité du lieu et recentrer l’attention des usagers sur l’espace collectif, afin de favoriser les interactions sociales.

Cour intérieure ambiance prairie, montage personnel © Tulay Basagac
Notes
Lieux: Lausanne
Date de construction: 2017-2019
Architecte responsable du concept architecturalprojet: Jean-Pierre Dürig (Dürig AG)
Architecte responsable de la conception détaillée du projet: Itten + Brechbühl SA
Partenariat: public-privé
Maitres d’ouvrages: Caisse de pension de l’Etat de Vaud
Couts: 156 millions
Surface au sol : 36’700 mètres carrés
Hauteur : 29 mètres
941 chambres
2400 mètres d’espace partagés : restaurants, café, garderie, magasins et salles de réunions modulables.
Diamètre extérieur 137 mètreS
Diamètre intérieur 105 mètres
Rampe 2,8 km avec 1% d’inclinaison
Bibliographie
Jodidio, P. (s.d.). Le Vortex : Architecture du cercle. Rizzoli Electa.
Itten+Brechbühl. (s.d.). Vortex. Archiswiss. https://archiswiss.ch/architecture/vortex-ittenbrechbuhl/
ArchDaily. (2015, novembre 1). Durig AG designs student housing for University of Lausanne. https://www.archdaily.com/769453/durig-ag-designs-student-housing-for-university-of-lausanne/55934ca3e58ece2fb50002c4-durig-ag-designs-student-housing-for-university-of-lausanne-image?next_project=no
ArchDaily. (2020, juin 11). Vortex Student Housing / DURIG AG + Itten+Brechbühl. https://www.archdaily.com/941502/vortex-student-housing-durig-ag-plus-itten-plus-brechbuhl/5ee18861b35765c6d80002bc-vortex-student-housing-durig-ag-plus-itten-plus-brechbuhl-plan?next_project=no
CPEV – Centre de promotion des études (2020, octobre). Vortex [Livret de présentation]. https://www.cpev.ch/sites/default/files/files-document/2020-10/CPEV_Vortex_livret_oct2020.pdf
Université de Lausanne. (s.d.). Vortex : Se loger sur le campus. https://www.unil.ch/unil/en/home/menuinst/travailler/welcome-centre/vortex-se-loger-sur-le-campus.html
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