Une architecture entre rigueur environnementale et inconfort usager.
Fabio Pozza Pena et Laura Michalak
Implanté dans le quartier de la Mouline, au Nord du Campus Universitaire de Lausanne (UNIL), le bâtiment Geopolis, longeant l’autoroute E23, marque l’entrée de l’agglomération Lausannoise. Inauguré en octobre 2013, après trois ans de chantier, il ouvre ses portes aux facultés des géosciences et de l’environnement (GSE) mais aussi aux sciences sociales et politiques (SSP).

Vue du bâtiment depuis la sortie du M1 de l’arrêt Mouline, © Laura Michalak
Ses débuts mouvementés
Né d’un concours lancé en 2008, le projet Géopolis a été confié aux architectes Robin Kirschke, du puissant bureau Itten Brechbühl SA, et Marc Werren, de GWJ Architectes SA à Berne. Avec une force de frappe de 400 collaborateurs, Itten Brechbühl dispose d’une structure imposante qui lui permet de répondre à des projets d’envergure.
À l’origine, il était question de faire une transformation de l’ancienne usine Leu, une entreprise de meubles rembourrés fondée en 1964. Constituée d’une équipe de 58 personnes, l’entreprise va cesser son activité pour cause de difficultés économiques, en 2004. A la fin de cette même année, l’Etat de Vaud se procure la parcelle dans le but de répondre au besoin croissant de l’expansion du campus universitaire de Lausanne1. A l’origine, il était question de travailler avec le bâtiment existant mais les contraintes techniques et structurelles ont finalement mené à la démolition totale du bâtiment2. Les architectes ont néanmoins tenu à conserver certains éléments tels que la volumétrie ou l’apport de lumière naturelle. Mais le choix de reconstruire sur les anciens gabarits de l’usine n’a t’il pas finalement reporté des contraintes typologiques sur l’ouvrage actuel?

Implantation de l’ancienne usine Leu, ©UNIL
Si le bâtiment Géopolis affiche aujourd’hui une certaine stabilité, ses débuts ont été nettement plus chaotiques. Le projet a été réalisé dans le cadre d’un contrat d’entreprise total, sélectionné sur concours, prévoyait un prix forfaitaire couvrant l’intégralité des prestations. Cependant, alors que 98 % des travaux étaient réalisés, l’entreprise Baumag, responsable de la construction, dépose le bilan. Cet événement laisse les entreprises et sous-traitants impayés pour la finalisation des travaux. C’est donc l’Etat, garant du projet, qui devra débloquer un crédit supplémentaire de 12 millions de francs pour les travaux impayés et pour le reste des travaux. La faillite de Baumag est arrivée en 2012 et le décompte final de la subvention fédérale à été versé en 20173.
Des vides qui structurent l’espace
La véritable force du bâtiment réside dans ses quatre grands patios, qui inondent l’intérieur de lumière naturelle et créent des espaces intéressants, en dépit de proportions souvent étroites. Leur grande hauteur, presque monumentale, impressionne dès le premier regard. L’organisation du bâtiment s’articule autour de ces patios : les circulations les longent, tandis que les salles de classe et les bureaux s’ouvrent soit sur l’extérieur, soit sur ces cours intérieures sans vue sur l’extérieur.

Plan étage type, ©Itten+Brechbühl AG

Coupe transversale, ©Itten+Brechbühl AG

Vue sur l’atrium de la bibliothèque depuis le 1er étage, © Laura Michalak

Plafond au-dessus de l’atrium rythmé par des brises soleil, © Laura Michalak
Entre lumière et vis à vis
Le thème du regard, ou de la vue, s’impose de manière singulière lorsqu’on évoque l’intérieur du bâtiment. Se tenir dans l’un des atriums laisse une impression ambivalente: on est d’abord frappé par la lumière naturelle qui y circule généreusement, essentielle pour les bureaux situés au cœur de la structure. Mais en même temps, cette transparence totale engendre un certain malaise, comme si on se trouvait dans une cour intérieure en prison ou au centre d’un aquarium, exposé à tous les regards des étages supérieurs.
Cette sensation est particulièrement marquante dans la bibliothèque. L’aménagement actuel donne l’impression que les postes de travail ont été installés par défaut, faute d’espace commun généreux pour travailler. On perçoit que l’atrium n’a pas été pensé initialement pour étudier, ce qui renforce le sentiment d’un lieu à la fois ouvert et oppressant.

Couloir entre les bureaux donnant sur l’extérieur et les bureaux donnant sur l’atrium, © Laura Michalak

Dans l’atrium jumelé à la bibliothèque, aménagé en espace de travail, © Laura Michalak
Le pari écologique
Le Géopolis étant un des bâtiments les plus récents du site de L’UNIL, il s’inscrit également dans la démarche “Campus Plus » qui tend à réduire l’impact environnemental des activités universitaires. Mais est-ce vraiment le cas, arrive-il à répondre à sa fonction et aux enjeux écologiques ? Les avis divergent.
Avec ses 20’000 m2 de surface utile, le bâtiment remplit globalement le cahier des charges sur le plan fonctionnel. Toutefois, certains choix techniques, notamment en matière de domotique, suscitent des critiques. L’impossibilité d’ouvrir les fenêtres dans certaines salles d’étude, souvent bondées en période d’examens, rend l’atmosphère parfois étouffante et désagréable. Faute de pouvoir aérer naturellement, les étudiants se voient contraints de laisser les portes ouvertes; un compromis qui sacrifie le calme au profit d’un minimum de confort.
« Nous avons le choix entre les bruits de couloirs ou les odeurs de renfermé », résume un étudiant, visiblement partagé entre le besoin de concentration et celui de respirer.
Lors d’un entretien mené par Nadja Maillard, Guido Cocchi, architecte en chef du plan directeur de l’Université de Lausanne à Dorigny, évoque avec une pointe d’humour l’évolution des bâtiments universitaires. Il établit une métaphore saisissante :
« Les premiers bâtiments de l’Université étaient comme des tasses, alors que le Géopolis sera une bouteille thermos. » Une image parlante pour illustrer les enjeux énergétiques propres à chaque époque.

Esquisse de Guido Cocchi illustrant les anciens bâtiments de l’unil sous forme de tasses et le Géopolis sous forme d’un thermos.
Les premières constructions de l’UNIL souffraient en effet de problèmes importants de déperdition thermique, tandis que le bâtiment Géopolis, conçu selon les standards du label MINERGIE-ECO, vise une performance énergétique optimale. Le bâtiment intègre des solutions durables comme une pompe à chaleur utilisant l’eau du Lac Léman et une ventilation à double flux avec récupération de chaleur4. L’enveloppe, elle, est pensée comme un système fermé, étanche, isolé. Ce qui déplait globalement aux étudiants avec qui nous avons pu discuter.
L’efficacité au profit du confort ?
La question de la fenêtre, en architecture, est loin d’être anecdotique. Historiquement, les ouvertures étaient réduites au minimum pour se prémunir des variations climatiques. Aujourd’hui, les avancées technologiques dans le domaine du vitrage permettent de concevoir de larges baies, favorisant l’apport de lumière naturelle, ce qui engendre à son tour la nécessité de dispositifs de protection solaire. C’est précisément l’un des paradoxes du Géopolis : malgré ses généreuses surfaces vitrées, le bâtiment abrite de nombreuses salles de travail, laboratoires et bureaux où l’exposition solaire pose problème. L’accès aux commandes des stores n’étant pas possible depuis les postes de travail, les utilisateurs se retrouvent souvent dans l’impossibilité de réguler l’ensoleillement, ce qui nuit au confort intérieur.
L’évolution du langage architectural est normale et souhaitable, notamment sous l’impulsion des nouvelles exigences écologiques auxquelles les architectes doivent répondre. Cependant, la façade du Géopolis, conçue comme un habillage uniforme alternant vitrages et panneaux en aluminium et d’acier inox, sur l’ensemble de ses faces, semble faire abstraction des différences d’orientation et de contexte propres à chaque façade. Cette homogénéité questionne : peut-on vraiment répondre à des contraintes aussi diverses avec une solution unique ?
Sa relation au site
En ce qui concerne les espaces extérieurs, la transition entre l’extérieur et l’intérieur se fait avec l’absence de seuil d’entrée. En quelques mètres seulement, on passe de la route à l’entrée principale, sans véritable transition. L’espace extérieur, largement minéral et exposé, peine à établir un dialogue avec l’intérieur. On se retrouve rapidement pris en étau entre une façade imposante, lisse et peu expressive, et une route. Ce choix contraste fortement avec le reste du campus de l’UNIL, où les bâtiments s’intègrent de manière plus douce et paysagère à leur environnement. Cela donne l’impression d’un bâtiment objet autonome qui ne dialogue presque pas avec son entourage. La connexion entre la cafétéria et sa terrasse manque de clarté car les portes qui sont censées faire le lien sont fermées, cela oblige les étudiants à sortir avec leur plateau par l’entrée principale pour accéder à la terrasse, ce qui nuit à l’usage spontané de cet espace.

Maintenance de la toiture, © Laura Michalak
Par ailleurs, Éric Larré, technicien du bâtiment, explique que peu de personnes utilisent les extérieurs comme lieu de travail. En cause : les reflets générés par la façade vitrée rendent difficile l’utilisation d’un ordinateur portable en plein jour. Il attire également l’attention sur un risque méconnu mais réel : en raison de la nature réfléchissante du matériau de façade, laisser un sac trop près (à moins de 30 cm) peut entraîner une surchauffe due à la concentration des rayons solaires. Ce phénomène a déjà provoqué la fissure d’un vitrage, comme l’a constaté M. Lauré lui-même.
Conclusion
Dernier-né du campus de l’UNIL, le bâtiment Géopolis s’impose par son gabarit, sa rigueur programmatique et son ambition environnementale. Mais il ne laisse personne indifférent. Si certains saluent ses qualités fonctionnelles, sa lisibilité spatiale et son autonomie sur le site, d’autres critiquent une architecture froide, déconnectée de son contexte paysager, où le climat intérieur manque de confort. Ces contrastes soulèvent une question plus large : qu’attend-on réellement d’une architecture universitaire aujourd’hui ? La priorité doit-elle être donnée à la performance énergétique, à la rationalité fonctionnelle, ou au confort quotidien des étudiants et des chercheurs ? Ou bien à un équilibre subtil entre tous ces éléments ? En ce sens, le Géopolis suscite le débat, et incarne à sa manière les tensions entre efficacité, durabilité et qualité d’usage.
Notes
1.Géopolis, un nouveau bâtiment pour l’UNIL
2.Le projet Géopolis présenté par ses architectes
3.Etat de Vaud, rapport de la commission, octroi crédit supplémentaire
4.Planair,Bâtiment Géopolis à Lausanne
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