Le nouveau quartier en Dorigny se présente comme un “écoquartier“, durable et innovant. Mais quels critères se cachent réellement derrière ce terme?
Mickael Grosso et Sylvain Jaquenoud

Vue de la place pricnipale du quartier et du futur restaurant, © Sylvain Jaquenoud
Le quartier de Dorigny, anciennement appelé quartier Horizon, est l’un des plus grands projets d’aménagement entrepris ces dernières années dans la région. Initialement conçu autour d’un simple centre commercial, le site n’exploitait pas pleinement son potentiel stratégique au cœur de la commune de Chavannes-près-Renens. Pour répondre aux enjeux de développement, un concours d’architecture a été lancé afin d’élaborer un Masterplan pour un quartier à affectations mixtes, combinant logements, commerces et bureaux. Le bureau bernois Rudolf Rast a remporté ce concours avec un projet ambitieux intégrant notamment une tour de 60 mètres, pensée comme un repère visuel fort et une porte d’entrée symbolique à la ville. Cependant, cette tour emblématique n’a finalement jamais vu le jour, en raison de contraintes techniques, économiques et politiques1. Le projet a été adapté, conservant l’idée d’un quartier vivant et multifonctionnel, mais sans cet élément vertical qui devait initialement le marquer.
Parler de ce projet peut sembler intimidant, la taille du projet et son nombre d’intervenants n’aide pas à trouver le bon angle à questionner ou critiquer. Pourtant, les questionnements ne manquent pas lors de la visite sur place. Pourquoi une telle densité bâtie, pourquoi les matériaux en façade sont si différents, quelles qualités ont les appartements, etc. Les discussions avec le bureau d’architecture, la société immobilière et l’entreprise gérant l’exploitation n’ont pas soulevées de réelles problématiques. Tout le monde a l’air satisfait de ce projet et même une discussion avec un habitant confirme cet avis.
Pourtant quelques sujets peuvent être intéressants à approfondir. L’autoroute qui borde le quartier est une réelle problématique qui dépasse même l’échelle de ce quartier2. Ce tronçon est une épine pour le développement des projets aux alentours et scinde actuellement le site en deux. La passerelle qui devrait se construire prochainement (elle aussi pourrait être un sujet de discussion tant elle pose problème) résout partiellement cette scission. Les discussions autour de cette autoroute tournent en rond et l’idée de remplacer cette voie rapide par une route cantonale à deux vois ou même une voie à mobilité douce semble être pour l’instant une utopie. L’autoroute est la propriété de la confédération et le prix à payer pour ces travaux retient ces changements. On connaît la longueur et la difficulté de ce genre de discussions et le projet du quartier en Dorigny a du assumer la proximité avec une voie rapide. Des barres de logements servent de mur anti-bruit pour le reste du quartier, ce qui affirme durablement ce tronçon d’autoroute. Mais peut-on en vouloir aux acteurs de ce projet de l’avoir réaliser ainsi ?
Un autre sujet semblait plus intéressant à traiter, les écoquartiers. On entend ce terme depuis bien des années pour les nouveaux quartiers sans trop questionner son utilisation, certainement abu- sive. Il est peut-être légitime de remettre en question les critères liés au certificats comme Minergie ou autres. Peut-on réellement qualifier de «durable» un quartier construit sur un immense parking souterrain couvrant toute la parcelle, nécessitant une consommation massive de béton, l’un des matériaux les plus énergivores et émetteurs de CO2 ?L’utilisation de technologies performantes pour l’exploitation énergétique, même basées sur des énergies renouvelables, suffit-elle à com- penser l’impact environnemental initial très lourd lié à la construction ?
Des critères pertinents ?
Sur site, le quartier en Dorigny (anciennement quartier Horizon) présenté comme un écoquartier novateur semble peu « écologique ». Le complexe est construit sur un immense parking couvrant la quasi totalité de la parcelle. Les beaux parterres arborés des différents espaces extérieurs peuvent faire oublier ce monde souterrain mais les entrées parking et les différentes bouches d’aération nous rattrape vite. Le terme écoquartier n’étant pas protéger en Suisse, il serait intéressant de vérifier si l’utilisation de ce nom n’est pas abusive. En France le gouvernement a créer une liste de 20 critères3 à respecter pour obtenir le label écoquartier. Cette liste peut donner une idée et des arguments pour juger ce projet.

image aérienne des travaux importants de terrassement, © Orllati
Sobriété
Sur le plan de la sobriété, le projet affiche un bilan mitigé. Dès la phase de chantier, l’ensemble de la parcelle a été terrassé, supprimant presque toute surface de pleine terre au profit notamment d’un vaste parking souterrain. Cette artificialisation nuit à la biodiversité et au fonctionnement écologique du sol. Toutefois, cet impact est à nuancer : avec environ 3 000 habitants attendus, le quartier atteint une forte densité qui limite l’étalement urbain et optimise l’usage du foncier — un point en faveur d’une sobriété territoriale.
En revanche, la construction elle-même manque clairement de sobriété matérielle. Les bâtiments sont intégralement réalisés en béton coulé sur place, sans recours à des matériaux biosourcés, géosourcés ou issus du réemploi, à l’exception d’un bâtiment doté de façades en bois. Ce choix accentue l’empreinte carbone du projet.
Du côté de l’exploitation, les performances sont plus convaincantes. Les bâtiments répondent aux normes actuelles et, selon le label Greenproperty, atteignent un niveau équivalent à Minergie. Les toitures végétalisées et les panneaux photovoltaïques contribuent à une certaine autonomie éner- gétique, renforcée par un système de gestion intelligente de l’énergie.
Mais est-ce assez pour parler d’écoquartier ?
Inclusion
Le quartier comprend près de 900 logements, avec une diversité de typologies allant du studio au 5,5 pièces, ce qui permet de répondre aux besoins d’une population variée en termes de composition familiale. Cette mixité de formats est un point positif en faveur de l’inclusion. Cependant, aucune mesure spécifique n’a été mise en place pour proposer des logements protégés, adaptés aux personnes âgées ou en situation de handicap, ni de logements en cluster, qui pourraient favoriser des modes d’habitat plus collaboratifs ou intergénérationnels. L’approche reste donc convention- nelle, sans innovation notable en matière d’habitat inclusif.
Quant aux typologies en elles même, ces dernières, tout comme le projet en globalité finalement, souffle le froid et le chaud. Certaine typologie traversante, offre une qualité spatiale et lumineuse, spécialement pour les appartements situés le long de l’autoroute. Ceux-ci sont caractérisé par un patio central autour duquel s’organise les appartements, permettant une certaine privacité. D’un autre côté, d’autres typologies, mono-orientées, n’offres que très peu de luminosité et que dire de la qualité spatiale. Ces dernières sont mal orientées, avec souvent une ouverture qui se fait uniquement sur patio ou sour cour.

schéma montrant la différence de typologie et de qualité dans un volume similaire, © Mickael Grosso
Sur le plan économique, les loyers pratiqués semblent se situer dans la moyenne du marché, per- mettant à une diversité de classes sociales d’accéder aux logements. Cette accessibilité relative contribue à une certaine mixité socio-économique, même si elle n’est pas activement favorisée par des mécanismes comme des logements subventionnés ou des quotas sociaux.
Les logements eux-mêmes sont pensés pour répondre à des attentes classiques : fonctionnels, sans excès. Les premiers retours d’habitants indiquent un bon accueil de cette simplicité, malgré la présence de dispositifs domotiques relativement avancés, qui, dans les faits, semblent peu utilisés, perçus par certains comme des gadgets plus que de réels leviers d’inclusion ou de confort4.
En résumé, le quartier propose une offre relativement accessible et variée, mais reste dans un modèle standard, sans intégrer de véritables leviers pour favoriser une inclusion plus large qu’elle soit sociale, générationnelle ou fonctionnelle.
Mais est-ce assez pour parler d’écoquartier ?
Création de valeurs
Pour les critères représentant la création de valeur, le projet atteint pleinement les objectifs. Le quartier est conçu de manière à offrir tous les services et commerces nécessaires à la vie quoti- dienne des habitants. La densité bâtie est également plus que respectée, critère discutable si on parle de qualité de vie. Le taux de cyclabilité est également un critère et lui aussi est plus qu’atteint mais à quel prix. Les cyclistes et piétons sont rois dans le quartier car les automobiles sont aux sous-sols, grâce à l’immense parking souterrain. Quand on sait le prix énergétique de l’excavation en situation urbaine ou périurbaine, les moyens mis en place pour ce critère sont discutables. La proximité avec les transports publics, que ce soit le métro ou le bus offre une qualité de vie supplé- mentaire et une alternative à la voiture individuelle
Mais est-ce assez pour parler d’écoquartier ?

photo aérienne du site en cours d’achèvement, © Photodrone.pro, Pedro Gutiérrez
Résilience
Le premier point à relever concerne la part du quartier impacté par des nuisances sonores. Pour ce projet, le bruit est un facteur important et le plan de site a été réfléchi pour atténuer les nuisances liées à l’autoroute. Les barres de logements fonctionnent comme mur anti-bruit pour le reste du quartier. Le deuxième parle du coefficient de pleine terre et de biotope par surface.
L’écoquartier analysé est assis sur un parking souterrain, le coefficient est donc limité. La terre se trouvant sur une dalle en béton est limitée niveau épaisseur et la qualité de la surface en dépend. Le dernier point à relever serait la surface d’espaces vert par habitants. Là où la densité était positive dans un critère précédent, elle joue un rôle négatif pour celui-ci.
Mais est-ce assez pour parler d’écoquartier ?
Marly comme exemple de labellisation
L’écoquartier de l’ancienne papeterie est le premier éco quartier certifié SEED du canton de Fribourg. Mais que siginfient ces labels?

image du nouveau quartier, © ecoquartier-marly
L’éco-quartier de l’Ancienne Papeterie à Marly, près de Fribourg, est un projet urbain durable certifié SEED et One Planet Living. Développé sur plus de 13 hectares, il accueillera environ 1 000 logements pour 2 300 à 2 500 habitants d’ici fin 2026. Ce quartier allie mixité sociale (étudiants, familles, seniors), commerces, services (crèche, piscine, cabinets médicaux), espaces partagés (potagers, maison de quartier) et mobilité douce (bus fréquents, abonnements offerts, car-sharing électrique, vélos en libre-service). Conçu en trois phases, il met l’accent sur la qualité de vie, la proximité, et le respect de l’environnement grâce à des bâtiments basse consommation, une gestion durable des déchets et la protection de la biodiversité.
Les différents labels pour des écoquartiers
En Suisse, plusieurs labels encadrent la conception d’écoquartiers, chacun avec ses priorités. SEED est un label national centré sur la durabilité globale (environnementale, sociale et économique) avec une forte dimension participative. One Planet Living, soutenu par le WWF, propose une approche internationale basée sur 10 principes de durabilité, souvent complémentaire aux autres labels. SNBS Quartiers, développé par la Confédération, offre une évaluation systémique et standardisée des projets, intégrant gouvernance, mobilité et qualité de vie. Minergie-Areal se concentre principalement sur l’efficacité énergétique et le confort des bâtiments à l’échelle du quartier. Enfin, le label 2000-Watt-Site vise à réduire drastiquement la consommation énergétique et les émissions carbone, en ligne avec les objectifs climatiques suisses.
Le label concerné par le quartier en Dorigny est le green property. Ce dernier est lié au maître d’ouvrage privé, ce qui permet de le décerner sans intervention d’un expert externe contrairement au labels cités précédemment.
Conclusion
Le projet de Dorigny, à Chavannes-près-Renens, illustre bien les tensions entre ambitions durables et réalités de la production urbaine contemporaine. Présenté comme un « écoquartier », il en reprend certains codes : densité maîtrisée, mixité fonctionnelle, bonne accessibilité aux transports publics, espaces extérieurs végétalisés et gestion énergétique performante. Sur ces points, le projet semble répondre aux attentes d’un urbanisme contemporain, compact et orienté vers la mobilité douce.
Mais à y regarder de plus près, cette labellisation reste largement discutable. La construction repose massivement sur le béton, notamment en raison d’un parking souterrain couvrant l’ensemble de la parcelle, en contradiction avec les principes de sobriété et de préservation du sol. L’inclusion sociale et fonctionnelle est limitée, malgré une certaine diversité de typologies. Et la qualité écologique des aménagements extérieurs est fortement réduite par l’absence de pleine terre.
Le terme « écoquartier », non protégé en Suisse, est ici utilisé de manière discutable, davantage comme outil de communication et de commercialisation que comme garantie de qualité environnementale. Dorigny est un quartier fonctionnel, dense, bien desservi, mais qui soulève la question suivante : peut-on se revendiquer « écologique » en misant sur des performances techniques, tout en négligeant les fondements mêmes de la sobriété, de l’inclusion et de la résilience ?
À travers ce projet, c’est toute la nécessité d’une définition plus rigoureuse et plus ambitieuse des écoquartiers en Suisse qui se dessine.
Notes
__________________________________________________________
- entretien avec le bureau d’architectes Pezzoli & associés, 10.04.25 ↩︎
- article du 24heures, “Zizanie dans un projet autoroutier à 1,2 milliard“, Chloé Din ↩︎
- “Les 20 indicateurs nationnaux Écoquartiers“, ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, 2024 ↩︎
- entretien avec un habitant du quartier, 24.04.25 ↩︎
Laisser un commentaire