Un cristal qui reflète plus qu’il ne révèle, derrière la vitrine du Swiss Tech Convention Center

Joyau de verre à la lisière du campus, le SwissTech Convention Center fascine autant qu’il interroge : vitrine de l’innovation ou mirage coûteux d’un rayonnement académique rêvé ?

Porte d’entrée du campus EPFL, à l’endroit où des flots d’étudiants se dépêchent de sortir du métro, un bâtiment aux allures de cristal trône sur une vaste dalle de béton. Avec sa silhouette anguleuse, ses grandes façades vitrées et son porte-à-faux spectaculaire, le bâtiment intrigue autant qu’il interpelle. Il ne laisse aucun passant indifférent, attire l’œil sans que sa fonction ne soit directement lisible. Telle est la première impression que l’on a du SwissTech Convention Center (STCC).

Véritable repère dans le paysage urbain, il incarne l’ambition portée par Patrick Aebischer, dont la présidence de l’EPFL (2000-2016) va résolument viser à donner une nouvelle image au campus afin d’amplifier son rayonnement, notamment avec des constructions emblématiques. Le projet du STCC s’inscrit dans le projet Campus 2010. Celui-ci vise à renforcer l’attractivité et le positionnement international de l’EPFL en dotant le site d’infrastructures d’enseignement et de recherche de pointe. Le plan intègre la création d’équipements complémentaires destinés à « favoriser une véritable vie de campus ». L’objectif est alors d’ « encourager une dynamique sociale riche et vivante », en résonance avec les activités académiques. Dans cette idée de faire du campus un lieu d’échange et d’innovation, l’EPFL ouvre en juin 2006 un appel d’offres qui s’adresse à des équipes pluridisciplinaires composées d’investisseurs, architectes, ingénieurs, planificateurs et constructeurs concernant « les études, le financement, la réalisation et la gestion d’un centre de conférences et rencontres, d’une galerie marchande et de logements pour étudiants et hôtes académique ». C’est ainsi que sont lancés les premières esquisses de ce que l‘on appellera quelques années plus tard le Quartier Nord. L’appel d’offre pour le Swiss Tech Convention Center s’inscrit ainsi dans une opération urbaine à part entière. Avant le lancement de la procédure le site n’était pas urbanisé, un seul édifice expérimental y était implanté. Ce petit projet était relié au campus par le passage souterrain qui est, toujours aujourd’hui, l’un des seuls accès à cette partie du campus. C’est le bureau Richter Dahl Rocha & Associés architectes SA avec HRS Real Estate SA qui remportent l’appel d’offre. Leur projet se distingue par un repositionnement des éléments du programme. En se détachant du schéma proposé dans le cahier des charges programmatique, les architectes dessinent un projet urbain composé d’une place, un véritable espace public de référence pour le Quartier Nord. Cette piazza articule le centre des congrès, le complexe de logements étudiants et les commerces qui bordent la nouvelle station « EPFL » du métro M1. En créant un nouveau quai de métro au nord, les architectes redéfinissent la porte d’entrée principale du campus. Avec ce nouvel arrêt, la ligne de métro change d’échelle : elle devient un véritable « axe de l’hypercentre », là où elle ne faisait autrefois que longer paisiblement des terrains encore vierges de toute construction.

Un joyau pour faire rayonner l’innovation

Concernant le nouveau centre de conférences, c’est le projet d’un cristal dont le scintillement doit éblouir et attirer de nouveaux chercheurs qui est convenu. Mais de quelle manière penser l’implantation d’un joyau de l’innovation ? D’un espace en friche, le quartier Nord devient un pôle urbain dense et dynamique.  Le choix de cet emplacement augmente la liaison entre la ville et le campus. On voit se dessiner une opération plus urbaine que réellement universitaire : la construction d’un bout de ville au Nord du campus. Les architectes le soulignent eux-mêmes : « Nous avons eu la grande chance et le privilège d’imaginer et de créer un morceau de ville, qui vient compléter les infrastructures existantes du campus de l’EPFL ». Il s’agit alors de compléter le campus en y greffant de nouvelles perspectives de rayonnement. Concernant le STCC, celui-ci semble prétendre à la création d’une réelle effervescence qui pourrait rythmer la vie du campus en l’ouvrant à un public extra-universitaire. « Il devait se greffer sur un large campus pour y susciter une dynamique événementielle nouvelle »1. D’après les architectes du STCC, la visibilité est l’élément central qui a défini l’implantation du bâtiment sur la parcelle. Sa localisation, à la lisière du campus, constitue un réel repère dans le paysage et contraste avec les silhouettes environnantes. Il n’est donc pas question de penser un édifice qui se fond dans le tissu du campus. Au contraire, il s’agit de rompre avec celui-ci afin de mettre en scène les nouvelles ambitions de l’EPFL. Ce nouveau « temple du savoir »2 marque ainsi une rupture formelle et symbolique dans le paysage.

Ce cristal de l’innovation s’inscrit dans un mouvement de gestes iconiques sur le campus mené par Patrick Aebischer. Il commande un objet sculptural qui se doit de marquer les esprits. « En quelques mois seulement, dira-t-il, le Swiss Tech Convention Center est devenu une icône, un emblème, un lieu d’inspiration du Campus au même titre que le Rolex Learning Center au début des années 2010 »3. Cette pensée s’inscrit dans un contexte mondial de gestes iconiques où l’image et la forme sont au cœur des réflexions. Et si l’image devenait un levier essentiel du rayonnement scientifique du campus ? Le STCC, avec sa forme sculpturale évoquant une pierre précieuse étincelante fait écho à une série de bâtiments emblématiques de la période. Nous pouvons citer la Casa da Música de Rem Koolhaas à Porto, la Philharmonie de Paris de Jean Nouvel, la Fondation Louis Vuitton de Frank Gehry ou encore le Musée des Confluences à Lyon, tous imaginés à la même période. Il s’agit de projets que l’on pourrait facilement associer à ce courant de pensée du début du nouveau siècle du fait de leur forme, leur rapport au site et leur matérialité. Ces bâtiments partagent une même ambition : surprendre, interpeller, marquer. Mais à quel prix ? Faut-il être spectaculaire pour être mémorable ? Ces architectures-sculptures fascinent-elles vraiment ou divisent-elles autant qu’elles ne marquent ? Autant de questions que soulève le STCC, véritable signal d’entrée du campus, à l’heure où l’architecture s’accorde au spectaculaire pour affirmer son statut et ses ambitions.

Vitrine de l’innovation, un cristal qui reflète plus qu’il ne laisse transparaitre.

Le coût d’un bijou 

Ce centre de congrès ultra high tech, financé à hauteur de 120 millions de francs prétend faire rayonner le « made in Switzerland » à l’internationale. Il constitue un vecteur essentiel pour valoriser les avancées des chercheurs de l’Innovation Park. Véritable outil de connexion, le campus start up de L’EPFL pourra ainsi dévoiler et mettre en lumière leurs savoirs. Comme le soulignait la vice-présidente de la planification et de la logistique de l’EPFL, « pour son nouveau centre des congrès, l’EPFL a poussé encore plus loin sa réflexion systématique et innovante, en valorisant au mieux toutes les sources d’énergie disponibles à proximité et en offrant une vitrine à des technologies énergétiques émergentes ». Bâtiment vitrine, il s’agit du premier au monde à utiliser un vitrage photovoltaïque basé sur une technologie développée par Michael Grätzel, un professeur et chercheur de l’EPFL. Il est également équipé de sièges rétractables utilisant un système modulable appelé Gala ou encore des parois amovibles qui peuvent disparaître en l’espace de quelques secondes. Transformer et jouer avec l’espace : telles sont les ambitions d’un projet modulable. Le bâtiment nous semble vivant, capable de se métamorphoser en l’espace de quelques secondes pour accueillir toujours plus d’événements. Plus qu’une vitrine, il est une carte de visite du campus et de l’innovation. Dès lors, comment maintenir l’image de ce centre des congrès qui s’inscrit dans une compétitivité internationale ? De quelle manière rentabiliser une opération aussi coûteuse ? Le bâtiment nous semble ouvert à tous les possibles grâce à sa modularité spectaculaire ; le nombre de possibilités n’est-il pas trop ambitieux ? Sa forme et tous les moyens techniques déployés sont-ils justifiés ? Des questions que nous avons posées à plusieurs reprises mais qui sont toujours restées sans réponse. Si le centre n’est pas à la hauteur de ce qu’il prétend incarner, peut-on l’assumer ? Nous sommes venues à nous demander : et si cette image de réussite n’était, au fond, qu’un discours de façade, déconnecté d’une réalité bien plus contrastée ? Plus souvent animé par des événements privés que publics, certaines salles de réunion restent vides, et l’immense salle de 3000 places est rarement exploitée, si ce n’est à l’occasion de la magistrale4, événement tenu une fois par an. Surtout le bâtiment, aussi transparent soit-il, peine à s’ouvrir véritablement aux étudiants. Ses espaces restent pour la plupart sous-exploités. Certaines petites salles entrent en concurrence directe avec d’autres prestataires, et restent inoccupées. Si l’opération est le résultat d’une collaboration public-privé financée par le Crédit Suisse, le Swiss Tech est rapidement devenu un gouffre financier pour l’EPFL, qui louait jusque 2024 les locaux pour la somme considérable de 10 millions de francs par an5. Afin de diminuer les coûts d’exploitation de ce projet ambitieux, une rétrocession anticipée qui s’élève à un montant de 140 millions de francs a été effectuée en 2024, rendant la confédération propriétaire de l’ouvrage. Comment expliquer ce manque de rentabilité ?

Géopolitiques de l’innovation

Le STCC n’est pas seulement un objet qui appartient au périmètre du campus, bien au contraire, il s’inscrit dans une dynamique à l’échelle du marché mondial. Dès les premières lignes de la commande lancée par Patrick Aebischer, il était demandé que le centre devrait « réunir les conditions de modularité, de confort et de technicité à même de nous positionner sur la carte des alternatives aux grands sites urbains américains, européens ou asiatiques »7. Dans un marché de la compétitivité internationale, il est nécessaire de se démarquer pour pouvoir avoir une chance d’attirer des clients internationaux. Par ailleurs le marché de l’événementiel est rude et la compétition bien présente. Diego Frank, responsable du développement commercial du STCC, le confirme et nous confie que « la concurrence mondiale est énorme. Nous perdons beaucoup de congrès parce que d’autres pays européens sont beaucoup moins chers. Par exemple, en Belgique, à Anvers, les salles coûtent moitié moins cher, tout comme le service de restauration, à qualité égale. Nous ne pouvons pas dire que nous sommes meilleurs ». La compétition est tellement forte, continue le responsable, et elle va bien au-delà du continent : « Il y a aussi des pays comme les pays du Golfe, par exemple, qui payent des organisateurs scientifiques pour organiser un congrès dans leur », explique-t-il. Même si Martin Kull, CEO et l’un des propriétaires du STCC affirme que « le SwissTech Convention Center figure parmi les centres de congrès les plus modernes et les mieux équipés au monde »8, nous pouvons remettre en question cette affirmation en la confrontant à la compétitivité mondiale qui réactualise en permanence les classements. Si le STCC se démarquait par sa modularité en partie possible par le Gala System qui n’était que très peu utilisé dans les centres de congrès du monde lors de son inauguration, il va rapidement se faire dépasser par de nouveaux centres. À titre d’exemple aux États-Unis, à Dallas, près de six centres de congrès vont être construits en utilisant le Gala System pour des salles d’une capacité supérieure. Diego Frank souligne que la pandémie du Covid 19 a entraîné une diminution de la rentabilité des centres de congrès :« depuis le covid, notre business s’est complètement écrasé ». Aujourd’hui, de nombreuses conférences se tiennent en ligne, par le biais du numérique, ce qui a drastiquement réduit la rentabilité économique des centres de congrès, lesquels traversent une crise profonde à l’échelle mondiale. À titre d’exemple local, l’Expo Centre SA qui exploite le centre de congrès et foires Forum Fribourg à Fribourg a fait faillite et a été contraint de fermer ses portes en 2021 à la suite de la pandémie. En France, le schéma est le même. Comme nous le lisons dans un article du Monde9 concernant les centres des congrès, les salons et les foires en France: « Premiers à terre, derniers à se relever ? Le secteur de l’événementiel, qui s’était effondré en quelques jours à la survenue de la crise sanitaire en mars 2020, sera certainement l’un des derniers à monter dans le train de la reprise économique. Un coup dur pour une filière qui revendiquait avant la crise 41’000 salariés et dix fois plus d’emplois indirects, selon l’Union française des métiers de l’événement (Unimev). Depuis l’irruption du Covid-19, 18.1 % des postes ont été détruits, d’après une enquête menée auprès 1’100 entreprises adhérentes ». Le STCC n’est ainsi pas le seul centre des congrès à traverser des difficultés économiques. C’est une baisse de rentabilité généralisée se fait sentir depuis plusieurs années. Alors comment faire face à cette crise ? Quelle stratégie l’EPFL veut-elle maintenant adopter ? Quel type de clients faut-il aller chercher ? Le centre doit-il ouvrir ses portes à des clients qui s’écartent du cadre académique de l’EPFL, ou, au contraire, assumer pleinement sa vocation académique au prix de pertes financières ? En réalité, les ambitions ne semblent pas avoir changé depuis l’ouverture du centre. Il est toujours d’actualité que le centre ne puisse accueillir que des évènements en lien avec la portée académique du campus. Cette décision implique de fermer les portes à un grand nombre d’investisseurs et donc d’assumer que le centre ne soit pas rentable. Comme le souligne Diego Frank, « il faut dire que chaque centre des congrès n’est pas profitable. Ils sont très grands, ils nécessitent de beaucoup de staff, beaucoup de technologies, et les investisseurs le savent. Un centre des congrès doit être profitable techniquement, car les centres de congrès sont un multiplicateur pour attirer des gens qui viennent voir des conférences et qui par la suite, remplissent les hôtels, les restaurants, vont acheter dans les commerces. C’est donc ça aussi la stratégie ». À l’heure actuelle, le cristal tend davantage à rayonner ponctuellement qu’à scintiller en permanence. Par ailleurs, l’EPFL exige du centre une rentabilité plus importante. Un paradoxe émerge. Combiner une hausse de la rentabilité et le maintien des ambitions académiques de l’EPFL devient un réel défi.

Le SwissTech Convention Center, un centre synchronisé aux fuseaux horaires du monde entier.

À qui appartient le joyau ?

La modularité, idée centrale du projet permet une grande flexibilité d’usage et d’opportunités évènementielles. Mais à qui profite cette modularité ? Qui occupe réellement ces espaces ? Si le Swiss Tech semble très transparent du fait de ses grandes façades vitrées, pourtant, celles-ci masquent une forme d’opacité d’usage. Les espaces les plus fréquentés par les étudiants, professeurs, chercheurs ou visiteurs sont ceux qui entourent le STCC. Les commerces, l’hôtel, les résidences étudiantes attirent des flux massifs d’étudiants, chercheurs ou professeurs. Si nous pouvions dessiner des centaines de parcours qui se croisent tous les jours à son alentour, il se pourrait bien que presque toutes contourneraient le Swiss tech qui ne leur ouvre que rarement ses portes. Devant l’inoccupation de certains espaces, nous pouvons nous demander pourquoi ne pas le rendre plus perméable à ceux qui fréquentent le site au quotidien. La transparence est requestionnée. Ne serait-il pas l’heure d’ouvrir l’imaginaire et de proposer de nouvelles occupations pour faire vivre le bâtiment en exploitant toutes ses capacités ? Il est l’heure de remembrer les attendus d’un centre qui vit sous différents fuseaux horaires et non pas à l’échelle d’un campus. Comment rendre ce cristal moins opaque ? Entre la philosophie de l’EPFL qui reste inchangée et tous les possibles qu’offre ce lieu, il est peut-être temps de ne plus freiner le développement de ce joyau technologique, capable d’élargir considérablement son rayonnement. Diego Frank souligne le potentiel du lieu qui pourrait s’ouvrir à plus de programmes. « Parfois, je pense qu’on doit penser out of the box et pour le moment, nous sommes très classiques, on fait des conférences et événements scientifiques et médicaux, mais je pense qu’il y énormément de potentiel avec l’e-sports, avec le domaine des IA et surtout avec les 15 000 étudiants de l’EPFL juste à côté de nous. Nous avons du potentiel pour faire plus ici ». Une foule d’événements est possible. Pourrions-nous imaginer une réelle mixité d’usages combinant occupations éphémères et permanentes ? Le STCC ne pourrait-il pas accueillir les chercheurs de l’Innovation Park ? Accueillir des occupations plus pérennes, des programmations mixtes, des espaces partagés plus que des événements privés ponctuels ? Pourquoi ne pas accueillir les Polymanga ? Des spectacles de danse, des chorales, des pièces de théâtre ? Laissons s’exprimer notre imagination pour rendre ce cristal moins opaque mais plus scintillant.

Entre silences et paroles, un centre qui connait le vide autant que la vie.

1 Patrick Aebischer cité dans le livre the SwissTech Convention Center EPFL Quartier Nord,École Polytechnique Fédérale de Lausanne », éditions Favre SA, Lausanne, 2014

2 Jean Luc Rochat, responsable Région Suisse Romande

3 Patrick Aebischer cité dans le livre the SwissTech Convention Center EPFL Quartier Nord,École Polytechnique Fédérale de Lausanne », éditions Favre SA, Lausanne, 2014

4 Cérémonie de remise des diplômes

5 « Le SwissTech Convention Center passera aux mains de la Confédération ». Le Temps, 29.06.2022

6 Patrick Aebischer cité dans le livre the SwissTech Convention Center EPFL Quartier Nord,École Polytechnique Fédérale de Lausanne », éditions Favre SA, Lausanne, 2014

7 Martin Kull, CEO et propriétaire

8 Vermeylen Margot, « Evénementiel : pour la reprise, rendez-vous à la rentrée ». Le Monde, 03.07.2021

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