Pensé pour rapprocher les mondes de l’art, de la science et de la vie universitaire, le bâtiment « Under One Roof » n’a jamais trouvé comment les faire cohabiter.
Thibault Koulmey et Alexandre Tâche
Inauguré en 2016, le bâtiment Under One Roof sur le campus de l’EPFL devait incarner une nouvelle étape dans l’évolution du campus, passer d’un site universitaire fermé à un lieu d’échange ouvert. Après le Rolex Learning Center ou le Swisstech Convention Center, l’EPFL a poursuivi cette stratégie en lançant un concours international sur invitation, destiné à attirer des agences de renommées. L’ambition ne concernait pas uniquement la forme, mais aussi les usages : faire du campus un pôle visible d’expositions et d’activités liées aux arts et à la recherche.

Façade donnant sur la cour @Tâche Alexandre
C’est dans ce contexte qu’a été choisi le projet de l’architecte japonais Kengo Kuma, dont la proposition consistait en une structure élancée en bois, s’insérant dans la topographie. Le bâtiment regroupe trois programmes : un café/restaurant, un espace d’exposition artistique, et un autre consacré à la recherche scientifique. Mais derrière cette ambition affichée, le projet Under One Roof est né d’un contexte politique et institutionnel plus complexe. Dès ses origines, le bâtiment portait l’empreinte de Patrick Aebischer, président de l’EPFL à l’époque, qui souhaitait positionner le campus comme un lieu d’avant-garde pour l’art. Ce projet était notamment lié à un partenariat avec la Fondation Gandur, qui espérait exposer ses collections dans le nouveau bâtiment.
Ce partenariat a pourtant rapidement tourné à la crise. La Fondation Gandur, souhaitant jouer un rôle central dans la gouvernance du lieu. Les conflits autour de la direction artistique, du financement et des conditions d’exposition ont conduit à une rupture brutale entre les deux parties en 2017. Le projet déjà en construction a dû être reconfiguré, perdant ainsi une partie de sa cohérence initiale. Comme l’ont révélé plusieurs enquêtes journalistiques (RTS, 2015–2018), les bases institutionnelles du projet étaient instables dès le départ. Malgré ce contexte, le bâtiment a ouvert ses portes avec plusieurs expositions notables. Parmi elles, «Noir c’est noir», une exposition marquante autour de la couleur noire dans les arts et les sciences, organisée en collaboration avec divers laboratoires de l’EPFL. Ces initiatives ont montré la richesse potentielle d’un dialogue entre disciplines artistiques et scientifiques. Pourtant, cette dynamique n’a pas suffi à stabiliser le programme.

Toiture entrée Nord @Thibault Koulmey
Le bâtiment se distingue par sa toiture en ardoise, ses matériaux sobres et ses lignes élancées. Il s’insère avec délicatesse dans la pente, créant un dialogue avec le reste du site. Plusieurs usagers soulignent son caractère singulier : «Il est vraiment différent des autres bâtiments du campus», note un étudiant en master de microtechnique. «Il a une ambiance japonaise, je le recommande à des visiteurs.» Mais derrière cette légèreté apparente, l’architecture a été contrainte par des exigences muséographiques. Le bâtiment a été conçu selon une logique de «white box», un principe muséal qui impose des espaces fermés, sans ouverture, pour garantir la neutralité des conditions d’exposition.
Cela explique en partie la fermeture physique du bâtiment, pourtant pensé au départ comme traversant et ouvert. «Des modifications dans le projet initial ont rendu ce bâtiment très fermé», constate Monsieur Veillon. L’entrée nord depuis l’Esplanade, bien qu’emblématique, est aujourd’hui peu utilisée, et les volumes intérieurs apparaissent difficilement lisibles pour les usagers. Ce sentiment est partagé par les étudiants. «Le bâtiment a l’air fermé sur lui-même. La façade sans vitre nous invite plus à le longer qu’à entrer dedans», commente le même étudiant. «Ce n’est pas un endroit où on va étudier, c’est juste pour traverser.»
L’EPFL poursuivait un objectif clair : faire du campus un espace ouvert aux arts et à l’innovation scientifique, en mettant en valeur ses laboratoires par le biais d’expositions. Le projet de Kuma, fluide et modulable, semblait bien répondre à cette ambition. Mais la crise avec la Fondation Gandur a déstabilisé le programme.

Façade sud, Montreux Jazz Café @Alexandre Tâche
Monsieur Veillon nous explique que les trois fonctions (restaurant, expositions artistiques, expositions scientifiques) ont coexisté, mais sans créer de synergies réelles. À l’exception de quelques événements partagés, les usages sont restés fragmentés. L’équipe de programmation, peu intégrée à la vie du campus, n’a pas réussi à créer un lien fort avec les étudiants et chercheurs. Cette absence de stratégie unifiée a nui à l’identité du lieu. «J’ai visité une expo une fois tous les six mois», nous dit l’étudiant interrogé. «C’est plus un endroit que je longe».
Si la pandémie de Covid-19 a ralenti les débuts du bâtiment, la programmation perçue comme élitiste, le cloisonnement des fonctions, le manque de visibilité dans les circuits étudiants, n’ont pas aidé au développement du projet dans le campus. Monsieur Veillon le reconnaît : « Le bâtiment est resté passablement muet. Il n’a pas réussi à attirer les usagers du campus. » La décision de fermer les espaces d’exposition à l’été 2025 acte l’échec du programme initial. Seul le restaurant restera ouvert. Cette situation interroge : pourquoi un bâtiment aussi bien situé, aussi soigné architecturalement, n’a-t-il pas trouvé son public ? Comment expliquer un tel écart entre l’intention et la réalité ?
Le bâtiment de Kengo Kuma ne manque pas de qualités. Il s’inscrit dans le site avec justesse, suit la pente, crée une place là où il n’y avait qu’un vide. Il s’intègre harmonieusement dans le campus, avec une présence discrète mais forte. En ce sens, il est très différent des autres bâtiments emblématiques du campus, souvent plus monumentaux. Mais l’histoire de ce projet révèle une instabilité dès le début. Il a été porté par une volonté personnelle forte, celle de l’ancien président Aebischer, puis fragilisé par un scandale autour de la gouvernance et du rôle de la Fondation Gandur. Ce défaut d’ancrage initial se retrouve dans la difficulté qu’a eue le bâtiment à s’adresser à ses usagers.

Façade est, donnant sur place, vue comme assez fermée @Thibault Koulmey
Aujourd’hui, il est là. Construit, peu utilisé, mais encore riche de possibilités. Comme le propose l’étudiant interrogé : «Peut-être qu’on pourrait y faire des espaces de travail ?» Une idée simple, mais concrète. Le lieu pourrait devenir un espace hybride, accessible, adaptable. Under One Roof mérite mieux qu’un abandon silencieux. Il mérite une deuxième chance. Il appartient maintenant à l’EPFL, c’est à ses usagers de lui redonner un rôle.
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Sources :
Interview avec Cyril Veillon / Directeur Archizoom
Interview avec un étudiants en microtechnique à l’EPFL (Rémi)
Photographies :
Thibault Koulmey
Alexandre Tâche
Jodidio, Philip. Under One Roof: EPFL ArtLab in Lausanne by Kengo Kuma. Munich ; New York : Prestel, 2019. 176 p. ISBN 978-3-7913-5805-5.
Articles en ligne
RTS. Le divorce est consommé entre la Fondation Gandur et l’EPFL [en ligne]. 18 octobre 2018. Disponible à l’adresse : https://www.rts.ch/info/suisse/9849255-le-divorce-est-consomme-entre-la-fondation-gandur-et-lepfl.html
RTS. Pose de la première pierre du projet « Under One Roof » à l’EPFL [en ligne]. 11 novembre 2014. Disponible à l’adresse : https://www.rts.ch/info/regions/vaud/6565711-pose-de-la-premiere-pierre-du-projet-under-one-roof-a-lepfl.html
RTS. L’embarrassant contrat de l’EPFL avec la Fondation Gandur pour l’art [en ligne]. 3 février 2016. Disponible à l’adresse : https://www.rts.ch/info/suisse/7667231-lembarrassant-contrat-de-lepfl-avec-la-fondation-gandur-pour-lart.html
ARQUITECTURA VIVA. Experimental Pavilions in EPFL [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://arquitecturaviva.com/works/experimental-pavilions-in-epfl
ESPAZIUM. Le spectacle du savoir [en ligne]. 2 février 2017. Disponible à l’adresse : https://www.espazium.ch/fr/actualites/le-spectacle-du-savoir
ESPAZIUM. L’art de la simplicité [en ligne]. 27 février 2017. Disponible à l’adresse : https://www.espazium.ch/fr/actualites/lart-de-la-simplicite
RTS. ArtLab, un bâtiment dédié à la science et à la culture inauguré à l’EPFL [en ligne]. 14 novembre 2016. Disponible à l’adresse : https://www.rts.ch/info/regions/vaud/8139550-artlab-un-batiment-dedie-a-la-science-et-a-la-culture-inaugure-a-lepfl.html