Pensé pour rapprocher les mondes de l’art, de la science et de la vie universitaire, le bâtiment « Under One Roof » n’a jamais trouvé comment les faire cohabiter.
Thibault Koulmey et Alexandre Tâche
Inauguré en 2016, le bâtiment Under One Roof sur le campus de l’EPFL devait incarner une nouvelle étape dans l’évolution du campus, passer d’un site universitaire fermé à un lieu d’échange ouvert. Après le Rolex Learning Center ou le Swisstech Convention Center, l’EPFL a poursuivi cette stratégie en lançant un concours international sur invitation, destiné à attirer des agences de renommées. L’ambition ne concernait pas uniquement la forme, mais aussi les usages : faire du campus un pôle visible d’expositions et d’activités liées aux arts et à la recherche.
Façade donnant sur la cour @Tâche Alexandre
C’est dans ce contexte qu’a été choisi le projet de l’architecte japonais Kengo Kuma, dont la proposition consistait en une structure élancée en bois, s’insérant dans la topographie. Le bâtiment regroupe trois programmes : un café/restaurant, un espace d’exposition artistique, et un autre consacré à la recherche scientifique. Mais derrière cette ambition affichée, le projet Under One Roof est né d’un contexte politique et institutionnel plus complexe. Dès ses origines, le bâtiment portait l’empreinte de Patrick Aebischer, président de l’EPFL à l’époque, qui souhaitait positionner le campus comme un lieu d’avant-garde pour l’art. Ce projet était notamment lié à un partenariat avec la Fondation Gandur, qui espérait exposer ses collections dans le nouveau bâtiment.
Ce partenariat a pourtant rapidement tourné à la crise. La Fondation Gandur, souhaitant jouer un rôle central dans la gouvernance du lieu. Les conflits autour de la direction artistique, du financement et des conditions d’exposition ont conduit à une rupture brutale entre les deux parties en 2017. Le projet déjà en construction a dû être reconfiguré, perdant ainsi une partie de sa cohérence initiale. Comme l’ont révélé plusieurs enquêtes journalistiques (RTS, 2015–2018), les bases institutionnelles du projet étaient instables dès le départ. Malgré ce contexte, le bâtiment a ouvert ses portes avec plusieurs expositions notables. Parmi elles, «Noir c’est noir», une exposition marquante autour de la couleur noire dans les arts et les sciences, organisée en collaboration avec divers laboratoires de l’EPFL. Ces initiatives ont montré la richesse potentielle d’un dialogue entre disciplines artistiques et scientifiques. Pourtant, cette dynamique n’a pas suffi à stabiliser le programme.
Toiture entrée Nord @Thibault Koulmey
Le bâtiment se distingue par sa toiture en ardoise, ses matériaux sobres et ses lignes élancées. Il s’insère avec délicatesse dans la pente, créant un dialogue avec le reste du site. Plusieurs usagers soulignent son caractère singulier : «Il est vraiment différent des autres bâtiments du campus», note un étudiant en master de microtechnique. «Il a une ambiance japonaise, je le recommande à des visiteurs.» Mais derrière cette légèreté apparente, l’architecture a été contrainte par des exigences muséographiques. Le bâtiment a été conçu selon une logique de «white box», un principe muséal qui impose des espaces fermés, sans ouverture, pour garantir la neutralité des conditions d’exposition.
Cela explique en partie la fermeture physique du bâtiment, pourtant pensé au départ comme traversant et ouvert. «Des modifications dans le projet initial ont rendu ce bâtiment très fermé», constate Monsieur Veillon. L’entrée nord depuis l’Esplanade, bien qu’emblématique, est aujourd’hui peu utilisée, et les volumes intérieurs apparaissent difficilement lisibles pour les usagers. Ce sentiment est partagé par les étudiants. «Le bâtiment a l’air fermé sur lui-même. La façade sans vitre nous invite plus à le longer qu’à entrer dedans», commente le même étudiant. «Ce n’est pas un endroit où on va étudier, c’est juste pour traverser.»
L’EPFL poursuivait un objectif clair : faire du campus un espace ouvert aux arts et à l’innovation scientifique, en mettant en valeur ses laboratoires par le biais d’expositions. Le projet de Kuma, fluide et modulable, semblait bien répondre à cette ambition. Mais la crise avec la Fondation Gandur a déstabilisé le programme.
Façade sud, Montreux Jazz Café @Alexandre Tâche
Monsieur Veillon nous explique que les trois fonctions (restaurant, expositions artistiques, expositions scientifiques) ont coexisté, mais sans créer de synergies réelles. À l’exception de quelques événements partagés, les usages sont restés fragmentés. L’équipe de programmation, peu intégrée à la vie du campus, n’a pas réussi à créer un lien fort avec les étudiants et chercheurs. Cette absence de stratégie unifiée a nui à l’identité du lieu. «J’ai visité une expo une fois tous les six mois», nous dit l’étudiant interrogé. «C’est plus un endroit que je longe».
Si la pandémie de Covid-19 a ralenti les débuts du bâtiment, la programmation perçue comme élitiste, le cloisonnement des fonctions, le manque de visibilité dans les circuits étudiants, n’ont pas aidé au développement du projet dans le campus. Monsieur Veillon le reconnaît : « Le bâtiment est resté passablement muet. Il n’a pas réussi à attirer les usagers du campus. » La décision de fermer les espaces d’exposition à l’été 2025 acte l’échec du programme initial. Seul le restaurant restera ouvert. Cette situation interroge : pourquoi un bâtiment aussi bien situé, aussi soigné architecturalement, n’a-t-il pas trouvé son public ? Comment expliquer un tel écart entre l’intention et la réalité ?
Le bâtiment de Kengo Kuma ne manque pas de qualités. Il s’inscrit dans le site avec justesse, suit la pente, crée une place là où il n’y avait qu’un vide. Il s’intègre harmonieusement dans le campus, avec une présence discrète mais forte. En ce sens, il est très différent des autres bâtiments emblématiques du campus, souvent plus monumentaux. Mais l’histoire de ce projet révèle une instabilité dès le début. Il a été porté par une volonté personnelle forte, celle de l’ancien président Aebischer, puis fragilisé par un scandale autour de la gouvernance et du rôle de la Fondation Gandur. Ce défaut d’ancrage initial se retrouve dans la difficulté qu’a eue le bâtiment à s’adresser à ses usagers.
Façade est, donnant sur place, vue comme assez fermée @Thibault Koulmey
Aujourd’hui, il est là. Construit, peu utilisé, mais encore riche de possibilités. Comme le propose l’étudiant interrogé : «Peut-être qu’on pourrait y faire des espaces de travail ?» Une idée simple, mais concrète. Le lieu pourrait devenir un espace hybride, accessible, adaptable. Under One Roof mérite mieux qu’un abandon silencieux. Il mérite une deuxième chance. Il appartient maintenant à l’EPFL, c’est à ses usagers de lui redonner un rôle.
Situé sur les hauteurs de Lausanne, à Chavannes-près-Renens, le Vortex se veut une réponse emblématique à la densification universitaire et à la crise du logement étudiant. Mais derrière l’ambition affichée et la puissance du geste architectural se cache un projet aux limites évidentes, tant sur le plan de l’aménagement urbain que de la qualité des espaces paysagers.
Izadora Botelho & Tulay Basagac
Un village en spirale
Cet immeuble destiné au logement étudiant, est né d’une décision politique visant à soutenir la candidature de Lausanne pour accueillir les Jeux Olympiques de la Jeunesse (JOJ) 2020. Il devait loger 1 700 athlètes avant d’être transféré à l’université de Lausanne pour un usage à long terme. Dürig, l’architecte en charge de ce projet, avait pour objectif principal de créer une architecture favorisant la cohabitation entre les habitants. Il parle de village-rue et cite dans le livre « Le Vortex: l’architecture du cercle », p.149:
« Certains villages sont organisés autour d’une place ou d’une église, et d’autres se forment le long d’un chemin de deux kilomètres, qui est aussi une spirale ».
L’architecte laisse entendre que la volonté architecturale était d’ordre typologique et non volumétrique. Il développe ainsi un projet de bâtiment à cour et coursives ciruclaires, des dispositifs qui, par leur forment, invitent à habiter un centre. Le concept est renforcé par l’appelation « Vortex » : ce therme évoque une architecture centripète et dynamique, qui aspire les flux humains ver un centre attractif, comme un point de convergence sociale.
Historiquement, les villages construits en cercle favorisent l’égalité et la centralité dans la manière de vivre. Cette disposition encourage l’inclusion, la communication et la visibilité mutuelle. La cour, quant à elle, offre un espace semi-public propixe aux rencontres dans un cadre sécurisé. Socialement, ces aménagements renforcent le sentiment de communauté.
Cependant, regrouper un village en cercle touche un aspect fondamental de l’architecture : celui de délimiter, de créer un « dedans » et un « dehors ». Cette forme est souvent été utilisée comme une mesure défensive, une manière de se protéger des dangers extérieurs. Elle crée une proximité à l’intérieur des remparts, mais induit également une séparation vis-à-vis de la ville environnante.
Dans le projet du Vortex, nous allons analyser comment ces dispositifs architecturaux, visant à orienter la vie sociale vers le noyau central, sont vécus par les usagers, et comment le bâtiment interagit avec son environnement.
Les limites du concept
Nous sommes allés sur place pour comprendre comment se vit le Vortex. Les entretiens avec les habitants et les commerçants nous ont permis d’évaluer si le projet, qui vise à animer un village le long d’un chemin, est réalisable grâce aux dispositifs architecturaux imaginés par Dürig.
Nous avons remarqué que le bâtiment actuel, avec ses coursives extérieures, semble parfaitement adapté pour accueillir des étudiants à long terme. Ces derniers apprécient généralement les lieux calmes, tout en favorisant les échanges. Malgré certaines réserves concernant le manque d’intimité causé par le passage sur les coursives, les étudiants interrogés ont généralement exprimé une perception positive. Ils ont souligné la qualité architecurale du bâti, la bonne isolation phonique, ainsi que l’utilité sociale des coursives.
«J’aime bien vivre ici, c’est beau. Ma chambre donne sur la cour et je trouve ça agréable. Les chambres sont bien isolées, on entend pas beaucoup de bruit.»
— Boris, étudiant
«Je suis sur la coursive arrière, du coup il y a moins de passage. Mais je trouve que c’est un équilibre, un accès facile, où on peu s’arrêter pour paporter si on voit des amis»
— Thibau, étudiant
Les utilisateurs du vortex expriment une satisfaction générale quant à la localisation privilégiée du site, bien que la place centrale soit négligée. Lorsqu’ils sont interrogés sur l’usage de la cour et la vie sociale au sein du bâtiment, les habitants soulignent une absence de qualité paysagère et de dynamisme collectif au sein de la résidence.
«Je ne me pose pas trop dans la cour. Je me sentirais observé, et il y a souvent du vent. Il y a des endroits plus intéressants à proximité.»
— Thibau, étudiant
«Quelques étudiants se posent deux ou trois fois par jour quand il fait beau. Je ne vois aucune acitivié se passer ici, et l’aménagement paysager est complétement à l’opposé des politiques de l’UNIL. Là-bas, ils laissent les herbes hautes, peu tondues, pour favoriser la biodiversité. Ici, il gèrent le bâtiment de façon très différente. Nous, on fait de la résistance, on fait pousser quelques plantes devant notre local. On essaye de faire changer les choses à ce niveaux-là.»
— Antoine, commerçant au rez-de-chaussée
Bien que le Vortex soit apprécié par un grand nombre d’étudiants, l’usage de son aménagment urbain soulève néanmoins quelques questions. Par son geste architectural fort et l’ambition portée par sa forme emblématique, le Vortex répont certes à la crise du logement étudiant, mais révèle également les limites évidentes imposées par cette géométrie imposante.
Cet objet circulaire, remarquable d’un point de vue visuel, crée une rupture nette avec le tissu urbain environnant. Agissant comme une forme d’autorité, cet anneau de 130 mètres de diamètre évoque un village fortifié, replié sur lui-même. Sa monumentalité concave rompt tout dialogue avec le campus universitaire, la ville voisine ainsi que les espaces naturels alentour, comme la forêt.
Initialement pensés pour animer le projet et générer une dynamique urbaine en lien avec le voisinage, l’idée des commerces en rez-de-chaussée est également un moyen de rencontre pour les étudiants. Toutefois, ces espaces, accessibles depuis la cour centrale, ne sont pas véritablement mis en valeur. Les trois entrées du bâtiment, assez discrètes et peu aménagées, n’invitent pas le public dans ce complexe de manière à enrichir les commerces.
«There’s a lack of social spaces, we don’t really know our neighbors at all. We don’t meet people, and there’s no place to sit outside next to the café»
— Tanvi et Bearnaird, étudiants
Le bâtiment semble s’auto-suffire, mais cette absence d’ouverture à l’extérieur, cette fermeture sur lui-même, contribue malheureusement au non-fonctionnement de ces espaces commerciaux en limitant leur attractivité, comme en témoigne la fermeture de la terrasse située en toiture. Cette centralité et cette fermeture de son aménagement illustrent un projet sans communication directe avec les usagers.
Le bâtiment manque d’articulations fines avec les espaces publics ainsi qu’avec les abords immédiats. Au sein du bâtiment, des seuils, des transitions ainsi que des lieux de rencontre ou de travail aux étages, où les étudiants peuvent s’approprier les espaces, pourraient créer une interaction avec les usagers internes et externes, faisant du Vortex un véritable morceau de ville. Ces remarques nous rappellent l’intention de Dürig, telle que formulée dans l’ouvrage «Le Vortex Architecture du cercle» p.150
« Nous avons plutôt cherché à trouver une architecture permettant de faire cohabiter les gens. »
Une cour centrale surdimensionnée… mais sous-exploitée
Le cœur même du Vortex, cette immense cour intérieure, reflète les limites d’un espace mal aménagé et difficilement appropriable. Pensée comme un espace communautaire, cette cour généreuse, aux dimensions quasi urbaines, crée une échelle disproportionnée qui tend à intimider plutôt qu’à inviter les usagers à s’y installer. Le manque d’aménagements adaptés, l’absence de plantations structurantes ou de zones ombragées contribuent à faire de ce lieu un espace minimaliste, presque stérile, dont l’usage et l’appropriation par les étudiants demeurent difficiles.
Dans le contexte paysager, le Vortex semble se refermer sur lui-même. Il ne tisse aucun véritable lien avec son environnement et tourne le dos à la ville. Tout paraît se jouer à l’intérieur du bâtiment ou ailleurs sur le campus. Ce manque d’ouverture se fait ressentir dans l’usage du lieu : la cour reste vide, ou en tout cas, elle ne contribue pas autant qu’on pourrait l’espérer à une vie communautaire étudiante.
La place centrale, qui historiquement servait d’espace d’expression démocratique, de marché, de fête ou de protestation, reste en marge de la vie sociale du Vortex. Ce «forum vivant», qui devait être le point de rencontre central des étudiants, ressemble malheureusement plus à un symbole qu’à un espace réellement actif et unificateur.
Si l’espace central est vide, pourquoi ne pas envisager de renouer avec l’histoire agricole du site pour lui redonner vie ?
En aménageant des jardins sauvages, en laissant pousser des herbes hautes et en permettant aux animaux de vagabonder librement, on pourrait atténuer la rigidité du lieu et recentrer l’attention des usagers sur l’espace collectif, afin de favoriser les interactions sociales.
ArchDaily. (2015, novembre 1). Durig AG designs student housing for University of Lausanne. https://www.archdaily.com/769453/durig-ag-designs-student-housing-for-university-of-lausanne/55934ca3e58ece2fb50002c4-durig-ag-designs-student-housing-for-university-of-lausanne-image?next_project=no
ArchDaily. (2020, juin 11). Vortex Student Housing / DURIG AG + Itten+Brechbühl. https://www.archdaily.com/941502/vortex-student-housing-durig-ag-plus-itten-plus-brechbuhl/5ee18861b35765c6d80002bc-vortex-student-housing-durig-ag-plus-itten-plus-brechbuhl-plan?next_project=no
CPEV – Centre de promotion des études (2020, octobre). Vortex [Livret de présentation]. https://www.cpev.ch/sites/default/files/files-document/2020-10/CPEV_Vortex_livret_oct2020.pdf
Université de Lausanne. (s.d.). Vortex : Se loger sur le campus. https://www.unil.ch/unil/en/home/menuinst/travailler/welcome-centre/vortex-se-loger-sur-le-campus.html
Depuis son ouverture en 2010, le Rolex Learning Center, œuvre emblématique du bureau japonais SANAA, alimente un récit flatteur : celui d’un manifeste spatial libre et visionnaire pour le campus de l’EPFL. Quinze ans plus tard, l’icône est toujours là — mais qu’en est-il de son usage réel ? Plutôt que d’ajouter une lecture formelle de plus, cette critique se place du côté des usagers, de ceux qui arpentent au quotidien ses pentes et ses creux. Les ambitions des architectes résistent-elles à l’épreuve du temps ? Le bâtiment, sous ses courbes parfaites, révèle-t-il des fragilités ou des qualités inattendues? C’est à travers sa topographie vécue que nous avons tenté de répondre.
Le Rolex Learning Center est l’œuvre du bureau d’architecture japonais SANAA, fondé par Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa. Lauréats du Pritzker Prize en 2010, les deux architectes ont construit une œuvre marquée par la continuité des plans, la transparence, la légèreté, et une volonté constante d’éviter les hiérarchies spatiales. La même année, Kazuyo Sejima était commissaire de la 12è Biennale d’architecture de Venise, placée sous le titre People meet in Architecture[1]. Cette édition, marquante, posait les bases d’une architecture conçue comme champ de relations plutôt que comme objet figé — un espace où les corps se croisent, cohabitent, improvisent dans de larges espaces ouverts. Le Rolex Learning Center, inauguré à Lausanne cette même année, peut être lu comme une traduction concrète de cette position théorique.
Situé au cœur du campus de l’EPFL, le bâtiment n’est pas une bibliothèque au sens classique, mais un paysage construit : un vaste plan continu, sans cloisonnement, qui se déploie en vagues successives, percées de patios, de seuils flous. Le sol y est en pente constante, sans angle droit, appelant à la déambulation autant qu’au repos. On y trouve une médiathèque, des espaces de travail, des lieux de rencontre, un café — mais la programmation, diluée dans un espace sans séparation, laisse place à l’invention.
Cette ouverture formelle se traduit dans les usages. Lors de notre visite sur place, nous avons pu observer une grande variété de pratiques, certaines attendues, d’autres plus inattendues : des étudiants y travaillent, dorment, déjeunent sur les pentes. Des sans-abris y passent parfois la nuit. Ces usages hybrides, non prescrits, révèlent la porosité du Rolex Learning Center — sa capacité à accueillir sans filtrer, à être investi sans mode d’emploi.
Le premier constat est paradoxal : malgré ses volumes généreux, le bâtiment offre une capacité de travail insuffisante, surtout lors des périodes de révision. « Si on n’arrive pas super tôt, on est sûr de ne pas avoir de place », note une étudiante[2]. En parallèle, de vastes zones restent sous-utilisées, faute d’aménagement, d’accès à l’électricité ou de signalisation claire. Le bibliothécaire précise que « les livres peuvent uniquement être placés sur les zones planes », ce qui limite la densité des rayonnages et concentre les usages dans quelques zones. Le transport des chariots se complique aussi à cause des pentes, les ascenseurs étant « peu visibles ou mal adaptés »[3]. Autrement dit, l’esthétique continue du sol devient une entrave logistique.
Cette contrainte se retrouve ailleurs. Le choix initial d’un sol en béton ciré a été abandonné au profit de la moquette, plus absorbante : un geste acoustique révélateur. Le bâtiment a dû être corrigé pour répondre à son propre écho. Cette nécessité d’ajustement se retrouve à une autre échelle : dans sa gestion quotidienne. Le responsable concierge parle d’un « très gros bateau », difficile à manœuvrer[4]. La forme fluide, la surface continue, la multiplicité des usages imposent une organisation et une maintenance lourdes, révélant les limites pratiques d’un bâtiment pensé comme paysage.
Pourtant, malgré ces contraintes, le Rolex Learning Center continue d’exercer une forme de fascination. Sa topographie douce, ses pentes continues, sa lumière diffuse composent un paysage intérieur unique. Des étudiants y trouvent une liberté rare : « on peut s’y asseoir n’importe où, même se coucher dans les pentes, c’est agréable », rapporte une usagère[5]. Le bâtiment permet une appropriation souple, hors des cadres traditionnels de la bibliothèque universitaire. On y travaille, on s’y repose, on y discute, parfois on y mange. Cette liberté d’usage, même si elle désoriente certains, constitue l’un de ses atouts les plus durables.
Mais cette liberté a un prix : elle exige des ajustements. À défaut d’intervenir sur l’architecture elle-même, il serait possible d’améliorer l’usage par des dispositifs légers. Le bibliothécaire évoque la possibilité d’aménager certaines pentes sous forme de terrasses, d’y ajouter des prises électriques, et de renforcer la signalétique pour fluidifier les parcours[6]. Le concierge, quant à lui, souligne les effets secondaires d’un bâtiment pensé comme une œuvre continue : il fonctionne, mais au prix d’un effort logistique constant[7]. En somme, il ne s’agit pas de corriger le Rolex, mais de le soigner — comme on entretient un grand jardin public.
Peut-être est-ce là le véritable enjeu d’un tel bâtiment : ne pas le figer dans une image iconique, mais l’accepter comme un espace vivant, traversé, éprouvé, modifié. Le Rolex Learning Center ne demande pas d’être préservé, mais accompagné. Ce n’est pas une forme à contempler, mais un milieu à habiter. Sa topographie, comme ses usages, appelle une lecture continue, une critique active, une attention partagée. C’est à cette condition qu’il pourra continuer à incarner ce qu’il prétend être : un lieu d’apprentissage — et d’expérience.
[1] Sejima, K., & Nishizawa, R. (2010). People meet in architecture. 12th International Architecture Exhibition. Venise : La Biennale di Venezia.
[2] Entretien avec une usagère du Rolex Learning Center, avril 2025.
[3] Entretien du bibliothécaire du Rolex Learning Center, avril 2025.
[4] Entretien avec le responsable concierge du Rolex Learning Center, avril 2025.
[5] Entretien avec une usagère du Rolex Learning Center, avril 2025.
[6] Entretien du bibliothécaire du Rolex Learning Center, avril 2025.
[7] Entretien avec le responsable concierge du Rolex Learning Center, avril 2025.
Après une décennie de projet et de réalisation tout en intégrant plusieurs étapes majeures de transformation, le nouveau campus de la RTS touche bientôt à sa fin.
La SSR (Société suisse de radiodiffusion et télévision) lance en 2014 une procédure de mandats d’étude parallèles pour la construction du futur édifice du grand média public suisse de la RTS. Le bâtiment est situé au cœur du campus UNIL-EPFL, à l’est du Rolex Learning Center.
Désigné lauréat en 2015, le bureau belge Kersten Geers David Van Severen (KGDVS) est responsable du projet. Deux années plus tard, le projet se gèle complètement suite à l’initiative No Billag1 qui remet directement en cause la mission du média public.
A la suite d’une redéfinition stratégique de la SSR et de nouvelles priorisations, le projet du campus reprend vie et on observe des modifications au projet. Les mots d’ordre maintenus sont transparence et flexibilité. Effectivement, le projet prend une grande importance sur le désir d’ouvrir le bâtiment et d’accueillir le public. Comment ce discours se retranscrit-il architecturalement au sein du chantier, ouvert en 2020 et qui se terminera en 2026?
DU SAVOIR À L’ÉCRAN : LA RENCONTRE ENTRE ÉDUCATION ET INFORMATION
Au moment du lancement du mandat d’étude parallèle, Gilles Marchand, ancien directeur de la RTS, et Patrick Aebischer, ancien président de l’EPFL, exposent leur intention de faire du nouveau campus RTS un bâtiment pluridisciplinaire, incarnant l’idée de mettre le savoir au service du public.
L’emplacement stratégique du campus RTS, à proximité de l’UNIL et de l’EPFL, permet une collaboration bénéfique entre les domaines scientifiques et les médias. La recherche universitaire est implantée au sein d’une plateforme médiatique. Selon Marc Bueler2, “Il y a le savoir et l’enseignement du côté de l’EPFL et de l’UNIL. Et nous, finalement, dans les médias, on est un partenaire pour raconter des histoires, porter ce savoir, et être aussi challengé.” Ce choix s’inscrit dans une démarche “visionnaire”, où l’interaction avec le milieu académique devient un pilier du média moderne : aujourd’hui, la question du fact-checking est au cœur de la diffusion d’informations. ”On n’est pas juste des porte-parole […], mais on devient un acteur de relais pour toute cette complexité sociétale.” ajoute Marc Bueler.
Cette collaboration est réfléchie non seulement pour les contenus produits, mais aussi pour les formats et les modes de diffusion. Par exemple, l’Initiative for Media Innovation (IMI), un laboratoire commun entre l’EPFL et la RTS, se consacre à l’intégration de technologies de pointe dans le journalisme. Cette proximité permet à la RTS de s’adapter plus rapidement aux évolutions technologiques, tout en offrant aux étudiants un espace d’apprentissage au cœur même de la production médiatique.
Dès la procédure de MEP du Campus RTS, la transparence est un pilier fondamental du projet, autant dans son concept architectural que dans sa valeur sociétale. Elle s’inscrit dans une volonté de rendre visible le processus de création médiatique. Marc Bueler nous dit : “Après, il y a aussi une symbolique, la transparence fait partie du service public, de donner de la visibilité à nos activités. Ça commence par le foyer, et d’exposer ce qu’on fait. Le média n’est plus un élément où on fait les choses en coulisses, où on est un petit peu replié sur soi-même. On a un devoir d’ouverture, de transparence.”
Au rez-de-chaussée du bâtiment se trouve un vaste espace vitré, conçu pour accueillir le public de manière attractive. Cette esplanade intérieure, baignée de lumière naturelle, est le point de rencontre central entre la RTS et ses visiteurs. L’espace est pensé pour permettre aux invités de découvrir les coulisses de la production médiatique en direct, sans barrières physiques ni symboliques. Effectivement, on peut observer les activités au sein des studios et régies vitrés, directement connectés au foyer. Les plateaux de tournage, qui sont des boîtes fermées, sont également accessibles à travers des sas.À l’étage, le “Champ” représente un espace de travail innovant et totalement ouvert. Ce vaste plateau, dépourvu de cloisons rigides, est pensé pour optimiser la collaboration des usagers et la circulation des idées. Marc Bueler décrit cet espace comme un lieu de “visibilité au travail”, permettant une interaction constante entre les différentes équipes.
L’ARCHITECTURE AU SERVICE DE L’ÉVOLUTION DES MÉDIAS
Le bâtiment de la RTS ne se contente pas d’héberger des bureaux ou des studios, il a été pensé comme un outil de travail évolutif, capable de s’adapter aux changements constants du monde des médias. Marc Bueler explique même que “Le bâtiment est capable de répondre aux demandes et aux évolutions constantes des modes de production, c’est une qualité que le projet a su relever”. De l’organisation spatiale jusqu’à l’infrastructure technique, tout a été conçu pour permettre des reconfigurations rapides, anticiper les changements de formats, d’équipes ou de technologies.
Autour des noyaux de circulation des quatre émergences, les architectes ont imaginé des espaces libres, facilement modulables. Antonios Prokos3 cite : “Un des thèmes forts du projet, c’est la flexibilité et la transformation. Le projet a changé de fond en comble plusieurs fois.” Des studios peuvent être agrandis en supprimant des cloisons, ou divisés pour accueillir plusieurs petites unités. Lors de la visite de chantier, Antonios Prokos nous montre des studios presque finalisés où le matériel est si coûteux que déplacer les cloisons étaient en effet moins onéreux que de changer l’équipement médiatique.
À la suite de l’initiative No Billag et de diverses séquences de repriorisations stratégiques de la SSR, qui a fortement secoué la SSR, le projet a été modifié et a subi des ajustements majeurs, notamment avec l’intégration du pôle Actualité. Des mezzanines ont été ajoutées, les affectations ont été révisées, et certaines zones ont été reconverties, parfois même en pleine construction. Même le “Tarmac”, situé au rez-de-chaussée et destiné à accueillir les camions de production, est conçu de manière à pouvoir être converti un jour en studios ou en bureaux.
L’approche d’ouverture conçue dans ce projet du campus RTS répond, selon nous, intelligemment aux désirs de représentation des valeurs du média. Cependant, ce concept de visibilité, très présent dans le projet, peut soulever certaines questions. Les collaborateurs.trices du “Champ” seront-ils pleinement satisfaits d’un open space aux places volantes ou demanderont-ils des cloisons supplémentaires ? Marc Bueler souligne : “C’est un vrai défi pour l’entreprise et nos organisations que de travailler dans des espaces de travail dynamiques. Chacun.e trouvera son port d’attache avec sa rédaction et ses collègues, c’est prévu. Mais c’est vrai que c’est un changement qu’il faut préparer et accompagner. C’est ce que nous faisons en ce moment avec des zones « tests » dans nos bâtiments actuels à Genève et Lausanne. Au final, nous sommes certains que cela favorisera les échanges et la collaboration des équipes et au final nos contenus pour le public”. Cependant, le principe de visibilité du travail cité par Marc Bueler n’induirait-il pas un possible manque d’intimité pour les travailleurs ? Seul le temps et l’usage des travailleurs nous le dira.
Le quartier de Dorigny, anciennement appelé quartier Horizon, est l’un des plus grands projets d’aménagement entrepris ces dernières années dans la région. Initialement conçu autour d’un simple centre commercial, le site n’exploitait pas pleinement son potentiel stratégique au cœur de la commune de Chavannes-près-Renens. Pour répondre aux enjeux de développement, un concours d’architecture a été lancé afin d’élaborer un Masterplan pour un quartier à affectations mixtes, combinant logements, commerces et bureaux. Le bureau bernois Rudolf Rast a remporté ce concours avec un projet ambitieux intégrant notamment une tour de 60 mètres, pensée comme un repère visuel fort et une porte d’entrée symbolique à la ville. Cependant, cette tour emblématique n’a finalement jamais vu le jour, en raison de contraintes techniques, économiques et politiques1. Le projet a été adapté, conservant l’idée d’un quartier vivant et multifonctionnel, mais sans cet élément vertical qui devait initialement le marquer.
Parler de ce projet peut sembler intimidant, la taille du projet et son nombre d’intervenants n’aide pas à trouver le bon angle à questionner ou critiquer. Pourtant, les questionnements ne manquent pas lors de la visite sur place. Pourquoi une telle densité bâtie, pourquoi les matériaux en façade sont si différents, quelles qualités ont les appartements, etc. Les discussions avec le bureau d’architecture, la société immobilière et l’entreprise gérant l’exploitation n’ont pas soulevées de réelles problématiques. Tout le monde a l’air satisfait de ce projet et même une discussion avec un habitant confirme cet avis.
Pourtant quelques sujets peuvent être intéressants à approfondir. L’autoroute qui borde le quartier est une réelle problématique qui dépasse même l’échelle de ce quartier2. Ce tronçon est une épine pour le développement des projets aux alentours et scinde actuellement le site en deux. La passerelle qui devrait se construire prochainement (elle aussi pourrait être un sujet de discussion tant elle pose problème) résout partiellement cette scission. Les discussions autour de cette autoroute tournent en rond et l’idée de remplacer cette voie rapide par une route cantonale à deux vois ou même une voie à mobilité douce semble être pour l’instant une utopie. L’autoroute est la propriété de la confédération et le prix à payer pour ces travaux retient ces changements. On connaît la longueur et la difficulté de ce genre de discussions et le projet du quartier en Dorigny a du assumer la proximité avec une voie rapide. Des barres de logements servent de mur anti-bruit pour le reste du quartier, ce qui affirme durablement ce tronçon d’autoroute. Mais peut-on en vouloir aux acteurs de ce projet de l’avoir réaliser ainsi ?
Un autre sujet semblait plus intéressant à traiter, les écoquartiers. On entend ce terme depuis bien des années pour les nouveaux quartiers sans trop questionner son utilisation, certainement abu- sive. Il est peut-être légitime de remettre en question les critères liés au certificats comme Minergie ou autres. Peut-on réellement qualifier de «durable» un quartier construit sur un immense parking souterrain couvrant toute la parcelle, nécessitant une consommation massive de béton, l’un des matériaux les plus énergivores et émetteurs de CO2 ?L’utilisation de technologies performantes pour l’exploitation énergétique, même basées sur des énergies renouvelables, suffit-elle à com- penser l’impact environnemental initial très lourd lié à la construction ?
Des critères pertinents ?
Sur site, le quartier en Dorigny (anciennement quartier Horizon) présenté comme un écoquartier novateur semble peu « écologique ». Le complexe est construit sur un immense parking couvrant la quasi totalité de la parcelle. Les beaux parterres arborés des différents espaces extérieurs peuvent faire oublier ce monde souterrain mais les entrées parking et les différentes bouches d’aération nous rattrape vite. Le terme écoquartier n’étant pas protéger en Suisse, il serait intéressant de vérifier si l’utilisation de ce nom n’est pas abusive. En France le gouvernement a créer une liste de 20 critères3 à respecter pour obtenir le label écoquartier. Cette liste peut donner une idée et des arguments pour juger ce projet.
Sur le plan de la sobriété, le projet affiche un bilan mitigé. Dès la phase de chantier, l’ensemble de la parcelle a été terrassé, supprimant presque toute surface de pleine terre au profit notamment d’un vaste parking souterrain. Cette artificialisation nuit à la biodiversité et au fonctionnement écologique du sol. Toutefois, cet impact est à nuancer : avec environ 3 000 habitants attendus, le quartier atteint une forte densité qui limite l’étalement urbain et optimise l’usage du foncier — un point en faveur d’une sobriété territoriale.
En revanche, la construction elle-même manque clairement de sobriété matérielle. Les bâtiments sont intégralement réalisés en béton coulé sur place, sans recours à des matériaux biosourcés, géosourcés ou issus du réemploi, à l’exception d’un bâtiment doté de façades en bois. Ce choix accentue l’empreinte carbone du projet.
Du côté de l’exploitation, les performances sont plus convaincantes. Les bâtiments répondent aux normes actuelles et, selon le label Greenproperty, atteignent un niveau équivalent à Minergie. Les toitures végétalisées et les panneaux photovoltaïques contribuent à une certaine autonomie éner- gétique, renforcée par un système de gestion intelligente de l’énergie.
Mais est-ce assez pour parler d’écoquartier ?
Inclusion
Le quartier comprend près de 900 logements, avec une diversité de typologies allant du studio au 5,5 pièces, ce qui permet de répondre aux besoins d’une population variée en termes de composition familiale. Cette mixité de formats est un point positif en faveur de l’inclusion. Cependant, aucune mesure spécifique n’a été mise en place pour proposer des logements protégés, adaptés aux personnes âgées ou en situation de handicap, ni de logements en cluster, qui pourraient favoriser des modes d’habitat plus collaboratifs ou intergénérationnels. L’approche reste donc convention- nelle, sans innovation notable en matière d’habitat inclusif.
Quant aux typologies en elles même, ces dernières, tout comme le projet en globalité finalement, souffle le froid et le chaud. Certaine typologie traversante, offre une qualité spatiale et lumineuse, spécialement pour les appartements situés le long de l’autoroute. Ceux-ci sont caractérisé par un patio central autour duquel s’organise les appartements, permettant une certaine privacité. D’un autre côté, d’autres typologies, mono-orientées, n’offres que très peu de luminosité et que dire de la qualité spatiale. Ces dernières sont mal orientées, avec souvent une ouverture qui se fait uniquement sur patio ou sour cour.
Sur le plan économique, les loyers pratiqués semblent se situer dans la moyenne du marché, per- mettant à une diversité de classes sociales d’accéder aux logements. Cette accessibilité relative contribue à une certaine mixité socio-économique, même si elle n’est pas activement favorisée par des mécanismes comme des logements subventionnés ou des quotas sociaux.
Les logements eux-mêmes sont pensés pour répondre à des attentes classiques : fonctionnels, sans excès. Les premiers retours d’habitants indiquent un bon accueil de cette simplicité, malgré la présence de dispositifs domotiques relativement avancés, qui, dans les faits, semblent peu utilisés, perçus par certains comme des gadgets plus que de réels leviers d’inclusion ou de confort4.
En résumé, le quartier propose une offre relativement accessible et variée, mais reste dans un modèle standard, sans intégrer de véritables leviers pour favoriser une inclusion plus large qu’elle soit sociale, générationnelle ou fonctionnelle.
Mais est-ce assez pour parler d’écoquartier ?
Création de valeurs
Pour les critères représentant la création de valeur, le projet atteint pleinement les objectifs. Le quartier est conçu de manière à offrir tous les services et commerces nécessaires à la vie quoti- dienne des habitants. La densité bâtie est également plus que respectée, critère discutable si on parle de qualité de vie. Le taux de cyclabilité est également un critère et lui aussi est plus qu’atteint mais à quel prix. Les cyclistes et piétons sont rois dans le quartier car les automobiles sont aux sous-sols, grâce à l’immense parking souterrain. Quand on sait le prix énergétique de l’excavation en situation urbaine ou périurbaine, les moyens mis en place pour ce critère sont discutables. La proximité avec les transports publics, que ce soit le métro ou le bus offre une qualité de vie supplé- mentaire et une alternative à la voiture individuelle
Le premier point à relever concerne la part du quartier impacté par des nuisances sonores. Pour ce projet, le bruit est un facteur important et le plan de site a été réfléchi pour atténuer les nuisances liées à l’autoroute. Les barres de logements fonctionnent comme mur anti-bruit pour le reste du quartier. Le deuxième parle du coefficient de pleine terre et de biotope par surface.
L’écoquartier analysé est assis sur un parking souterrain, le coefficient est donc limité. La terre se trouvant sur une dalle en béton est limitée niveau épaisseur et la qualité de la surface en dépend. Le dernier point à relever serait la surface d’espaces vert par habitants. Là où la densité était positive dans un critère précédent, elle joue un rôle négatif pour celui-ci.
Mais est-ce assez pour parler d’écoquartier ?
Marly comme exemple de labellisation
L’écoquartier de l’ancienne papeterie est le premier éco quartier certifié SEED du canton de Fribourg. Mais que siginfient ces labels?
L’éco-quartier de l’Ancienne Papeterie à Marly, près de Fribourg, est un projet urbain durable certifié SEED et One Planet Living. Développé sur plus de 13 hectares, il accueillera environ 1 000 logements pour 2 300 à 2 500 habitants d’ici fin 2026. Ce quartier allie mixité sociale (étudiants, familles, seniors), commerces, services (crèche, piscine, cabinets médicaux), espaces partagés (potagers, maison de quartier) et mobilité douce (bus fréquents, abonnements offerts, car-sharing électrique, vélos en libre-service). Conçu en trois phases, il met l’accent sur la qualité de vie, la proximité, et le respect de l’environnement grâce à des bâtiments basse consommation, une gestion durable des déchets et la protection de la biodiversité.
Les différents labels pour des écoquartiers
En Suisse, plusieurs labels encadrent la conception d’écoquartiers, chacun avec ses priorités. SEED est un label national centré sur la durabilité globale (environnementale, sociale et économique) avec une forte dimension participative. One Planet Living, soutenu par le WWF, propose une approche internationale basée sur 10 principes de durabilité, souvent complémentaire aux autres labels. SNBS Quartiers, développé par la Confédération, offre une évaluation systémique et standardisée des projets, intégrant gouvernance, mobilité et qualité de vie. Minergie-Areal se concentre principalement sur l’efficacité énergétique et le confort des bâtiments à l’échelle du quartier. Enfin, le label 2000-Watt-Site vise à réduire drastiquement la consommation énergétique et les émissions carbone, en ligne avec les objectifs climatiques suisses.
Le label concerné par le quartier en Dorigny est le green property. Ce dernier est lié au maître d’ouvrage privé, ce qui permet de le décerner sans intervention d’un expert externe contrairement au labels cités précédemment.
Conclusion
Le projet de Dorigny, à Chavannes-près-Renens, illustre bien les tensions entre ambitions durables et réalités de la production urbaine contemporaine. Présenté comme un « écoquartier », il en reprend certains codes : densité maîtrisée, mixité fonctionnelle, bonne accessibilité aux transports publics, espaces extérieurs végétalisés et gestion énergétique performante. Sur ces points, le projet semble répondre aux attentes d’un urbanisme contemporain, compact et orienté vers la mobilité douce.
Mais à y regarder de plus près, cette labellisation reste largement discutable. La construction repose massivement sur le béton, notamment en raison d’un parking souterrain couvrant l’ensemble de la parcelle, en contradiction avec les principes de sobriété et de préservation du sol. L’inclusion sociale et fonctionnelle est limitée, malgré une certaine diversité de typologies. Et la qualité écologique des aménagements extérieurs est fortement réduite par l’absence de pleine terre.
Le terme « écoquartier », non protégé en Suisse, est ici utilisé de manière discutable, davantage comme outil de communication et de commercialisation que comme garantie de qualité environnementale. Dorigny est un quartier fonctionnel, dense, bien desservi, mais qui soulève la question suivante : peut-on se revendiquer « écologique » en misant sur des performances techniques, tout en négligeant les fondements mêmes de la sobriété, de l’inclusion et de la résilience ?
À travers ce projet, c’est toute la nécessité d’une définition plus rigoureuse et plus ambitieuse des écoquartiers en Suisse qui se dessine.
Une architecture entre rigueur environnementale et inconfort usager.
Fabio Pozza Pena et Laura Michalak
Implanté dans le quartier de la Mouline, au Nord du Campus Universitaire de Lausanne (UNIL), le bâtiment Geopolis, longeant l’autoroute E23, marque l’entrée de l’agglomération Lausannoise. Inauguré en octobre 2013, après trois ans de chantier, il ouvre ses portes aux facultés des géosciences et de l’environnement (GSE) mais aussi aux sciences sociales et politiques (SSP).
Né d’un concours lancé en 2008, le projet Géopolis a été confié aux architectes Robin Kirschke, du puissant bureau Itten Brechbühl SA, et Marc Werren, de GWJ Architectes SA à Berne. Avec une force de frappe de 400 collaborateurs, Itten Brechbühl dispose d’une structure imposante qui lui permet de répondre à des projets d’envergure.
À l’origine, il était question de faire une transformation de l’ancienne usine Leu, une entreprise de meubles rembourrés fondée en 1964. Constituée d’une équipe de 58 personnes, l’entreprise va cesser son activité pour cause de difficultés économiques, en 2004. A la fin de cette même année, l’Etat de Vaud se procure la parcelle dans le but de répondre au besoin croissant de l’expansion du campus universitaire de Lausanne1. A l’origine, il était question de travailler avec le bâtiment existant mais les contraintes techniques et structurelles ont finalement mené à la démolition totale du bâtiment2. Les architectes ont néanmoins tenu à conserver certains éléments tels que la volumétrie ou l’apport de lumière naturelle. Mais le choix de reconstruire sur les anciens gabarits de l’usine n’a t’il pas finalement reporté des contraintes typologiques sur l’ouvrage actuel?
Si le bâtiment Géopolis affiche aujourd’hui une certaine stabilité, ses débuts ont été nettement plus chaotiques. Le projet a été réalisé dans le cadre d’un contrat d’entreprise total, sélectionné sur concours, prévoyait un prix forfaitaire couvrant l’intégralité des prestations. Cependant, alors que 98 % des travaux étaient réalisés, l’entreprise Baumag, responsable de la construction, dépose le bilan. Cet événement laisse les entreprises et sous-traitants impayés pour la finalisation des travaux. C’est donc l’Etat, garant du projet, qui devra débloquer un crédit supplémentaire de 12 millions de francs pour les travaux impayés et pour le reste des travaux. La faillite de Baumag est arrivée en 2012 et le décompte final de la subvention fédérale à été versé en 20173.
Des vides qui structurent l’espace
La véritable force du bâtiment réside dans ses quatre grands patios, qui inondent l’intérieur de lumière naturelle et créent des espaces intéressants, en dépit de proportions souvent étroites. Leur grande hauteur, presque monumentale, impressionne dès le premier regard. L’organisation du bâtiment s’articule autour de ces patios : les circulations les longent, tandis que les salles de classe et les bureaux s’ouvrent soit sur l’extérieur, soit sur ces cours intérieures sans vue sur l’extérieur.
Le thème du regard, ou de la vue, s’impose de manière singulière lorsqu’on évoque l’intérieur du bâtiment. Se tenir dans l’un des atriums laisse une impression ambivalente: on est d’abord frappé par la lumière naturelle qui y circule généreusement, essentielle pour les bureaux situés au cœur de la structure. Mais en même temps, cette transparence totale engendre un certain malaise, comme si on se trouvait dans une cour intérieure en prison ou au centre d’un aquarium, exposé à tous les regards des étages supérieurs.
Cette sensation est particulièrement marquante dans la bibliothèque. L’aménagement actuel donne l’impression que les postes de travail ont été installés par défaut, faute d’espace commun généreux pour travailler. On perçoit que l’atrium n’a pas été pensé initialement pour étudier, ce qui renforce le sentiment d’un lieu à la fois ouvert et oppressant.
Le Géopolis étant un des bâtiments les plus récents du site de L’UNIL, il s’inscrit également dans la démarche “Campus Plus » qui tend à réduire l’impact environnemental des activités universitaires. Mais est-ce vraiment le cas, arrive-il à répondre à sa fonction et aux enjeux écologiques ? Les avis divergent.
Avec ses 20’000 m2 de surface utile, le bâtiment remplit globalement le cahier des charges sur le plan fonctionnel. Toutefois, certains choix techniques, notamment en matière de domotique, suscitent des critiques. L’impossibilité d’ouvrir les fenêtres dans certaines salles d’étude, souvent bondées en période d’examens, rend l’atmosphère parfois étouffante et désagréable. Faute de pouvoir aérer naturellement, les étudiants se voient contraints de laisser les portes ouvertes; un compromis qui sacrifie le calme au profit d’un minimum de confort.
« Nous avons le choix entre les bruits de couloirs ou les odeurs de renfermé », résume un étudiant, visiblement partagé entre le besoin de concentration et celui de respirer.
Lors d’un entretien mené par Nadja Maillard, Guido Cocchi, architecte en chef du plan directeur de l’Université de Lausanne à Dorigny, évoque avec une pointe d’humour l’évolution des bâtiments universitaires. Il établit une métaphore saisissante :
« Les premiers bâtiments de l’Université étaient comme des tasses, alors que le Géopolis sera une bouteille thermos. » Une image parlante pour illustrer les enjeux énergétiques propres à chaque époque.
Esquisse de Guido Cocchi illustrant les anciens bâtiments de l’unil sous forme de tasses et le Géopolis sous forme d’un thermos.
Les premières constructions de l’UNIL souffraient en effet de problèmes importants de déperdition thermique, tandis que le bâtiment Géopolis, conçu selon les standards du label MINERGIE-ECO, vise une performance énergétique optimale. Le bâtiment intègre des solutions durables comme une pompe à chaleur utilisant l’eau du Lac Léman et une ventilation à double flux avec récupération de chaleur4. L’enveloppe, elle, est pensée comme un système fermé, étanche, isolé. Ce qui déplait globalement aux étudiants avec qui nous avons pu discuter.
L’efficacité au profit du confort ?
La question de la fenêtre, en architecture, est loin d’être anecdotique. Historiquement, les ouvertures étaient réduites au minimum pour se prémunir des variations climatiques. Aujourd’hui, les avancées technologiques dans le domaine du vitrage permettent de concevoir de larges baies, favorisant l’apport de lumière naturelle, ce qui engendre à son tour la nécessité de dispositifs de protection solaire. C’est précisément l’un des paradoxes du Géopolis : malgré ses généreuses surfaces vitrées, le bâtiment abrite de nombreuses salles de travail, laboratoires et bureaux où l’exposition solaire pose problème. L’accès aux commandes des stores n’étant pas possible depuis les postes de travail, les utilisateurs se retrouvent souvent dans l’impossibilité de réguler l’ensoleillement, ce qui nuit au confort intérieur.
L’évolution du langage architectural est normale et souhaitable, notamment sous l’impulsion des nouvelles exigences écologiques auxquelles les architectes doivent répondre. Cependant, la façade du Géopolis, conçue comme un habillage uniforme alternant vitrages et panneaux en aluminium et d’acier inox, sur l’ensemble de ses faces, semble faire abstraction des différences d’orientation et de contexte propres à chaque façade. Cette homogénéité questionne : peut-on vraiment répondre à des contraintes aussi diverses avec une solution unique ?
Sa relation au site
En ce qui concerne les espaces extérieurs, la transition entre l’extérieur et l’intérieur se fait avec l’absence de seuil d’entrée. En quelques mètres seulement, on passe de la route à l’entrée principale, sans véritable transition. L’espace extérieur, largement minéral et exposé, peine à établir un dialogue avec l’intérieur. On se retrouve rapidement pris en étau entre une façade imposante, lisse et peu expressive, et une route. Ce choix contraste fortement avec le reste du campus de l’UNIL, où les bâtiments s’intègrent de manière plus douce et paysagère à leur environnement. Cela donne l’impression d’un bâtiment objet autonome qui ne dialogue presque pas avec son entourage. La connexion entre la cafétéria et sa terrasse manque de clarté car les portes qui sont censées faire le lien sont fermées, cela oblige les étudiants à sortir avec leur plateau par l’entrée principale pour accéder à la terrasse, ce qui nuit à l’usage spontané de cet espace.
Par ailleurs, Éric Larré, technicien du bâtiment, explique que peu de personnes utilisent les extérieurs comme lieu de travail. En cause : les reflets générés par la façade vitrée rendent difficile l’utilisation d’un ordinateur portable en plein jour. Il attire également l’attention sur un risque méconnu mais réel : en raison de la nature réfléchissante du matériau de façade, laisser un sac trop près (à moins de 30 cm) peut entraîner une surchauffe due à la concentration des rayons solaires. Ce phénomène a déjà provoqué la fissure d’un vitrage, comme l’a constaté M. Lauré lui-même.
Conclusion
Dernier-né du campus de l’UNIL, le bâtiment Géopolis s’impose par son gabarit, sa rigueur programmatique et son ambition environnementale. Mais il ne laisse personne indifférent. Si certains saluent ses qualités fonctionnelles, sa lisibilité spatiale et son autonomie sur le site, d’autres critiquent une architecture froide, déconnectée de son contexte paysager, où le climat intérieur manque de confort. Ces contrastes soulèvent une question plus large : qu’attend-on réellement d’une architecture universitaire aujourd’hui ? La priorité doit-elle être donnée à la performance énergétique, à la rationalité fonctionnelle, ou au confort quotidien des étudiants et des chercheurs ? Ou bien à un équilibre subtil entre tous ces éléments ? En ce sens, le Géopolis suscite le débat, et incarne à sa manière les tensions entre efficacité, durabilité et qualité d’usage.
Notes
1.Géopolis, un nouveau bâtiment pour l’UNIL
2.Le projet Géopolis présenté par ses architectes
3.Etat de Vaud, rapport de la commission, octroi crédit supplémentaire
Au début des années 2000, L’EPFL projette de créer une place au centre du campus, qui prendra plus tard le nom de Place Cosandey. Mais qu’entend-on par le mot ‘‘place’’?
Loïc Carbonnelle et Jagoda Huguenin
Du vide au lieu : construire une place publique Au début des années 2000, L’EPFL projette de créer une place au centre du campus, qui prendra plus tard le nom de Place Cosandey. Mais qu’entend-on par le mot ‘‘place’’? Le terme trouve ses origines dans le latin platea, désignant un espace public large, souvent bordé de bâtiments. Dans l’imaginaire collectif, une place est avant tout un lieu de rassemblement, de rencontre, de passage, mais aussi de mémoire et d’usages quotidiens. Pourtant, toutes les places n’incarnent pas cette fonction avec la même intensité. Ainsi, la place Bellevue à Zürich s’anime grâce à l’opéra et aux commerces, tandis que la place Saint-François à Lausanne est ancrée dans une trame médiévale. La place Cosandey, quant à elle, s’est construite par étape, comme par couches successives, et semble à chaque évolution devoir réaffirmer sa légitimité. Peut-on alors encore parler d’une place?
“Peut-on alors encore parler d’une place?”
Un champ La place Cosandey s’inscrit dans un contexte particulier : elle est située à l’extrémité sud du campus de l’EPFL, en bordure du lac Léman. Elle occupe un site autrefois agricole, longtemps relégué à un entre-deux flou entre route cantonale et parking. Ni place fondatrice ni cœur d’un quartier, elle naît comme jointure entre différentes extensions du campus. Sa position en contrebas la rend périphérique, presque marginale, bien qu’elle ambitionne de devenir un nœud central de circulation et de rencontre. Peut-on, dès lors, transformer un espace sans qualité initiale en lieu public emblématique simplement par la volonté de le nommer « place »?
Vue de la zone sud campus EPFL en 2008
Un objet dans le champ
Entre 2005 et 2010, une série de projets architecturaux majeurs modèlent le sud de l’EPFL1. Le Rolex Learning Center2, emblématique par sa forme fluide, s’impose comme un objet singulier, autonome, posé dans un paysage encore indéfini. L’idée même de construire une « place » autour de cet objet semble en tension avec sa logique propre: le Rolex est pensé pour flotter librement, non pas pour dialoguer frontalement avec un espace urbain défini. Une nouvelle place centralisée est-elle nécessaire si le Rolex occupe déjà ce rôle central d’espace public?
Vue de la zone sud campus EPFL en 2010, après la construction du Rolex par le bureau SANAA
Une esplanade végétalisée
Pour structurer ce vide, le bureau Paysagestion3 imagine une grande esplanade ponctuée d’arbres et de pelouses, dans une trame circulaire. Ce geste paysager, volontairement minimal, ouvre la place à l’appropriation informelle. L’absence de programmes affaiblit fortement sa lisibilité. Les usages se cherchent, les intentions se diluent. La matérialité de l’espace, une grande dalle en béton perforé, visible depuis le ciel comme un tatouage, complique l’entretien et limite les usages possibles. Rapidement, ces perforations sont comblées pour pallier ces contraintes, mais ce correctif engendre de nouveaux problèmes : formation d’îlots de chaleur en été et mauvaise infiltration des eaux. Si l’espace se prête bien pour l’accueil du festival Balélec, il semble davantage pensé pour l’événementiel que pour la vie quotidienne. Mais une place peut-elle exister sans appropriation durable ni usages quotidiens définis?
Vue de la zone sud campus EPFL en 2012, après l’intervention de PaysageGestion
Une façade
Pour renforcer la place, l’idée d’y implanter des pavillons publics émerge. ‘’Il s’agissait de concevoir, sur la Place Cosandey, un ensemble de trois pavillons. L’un destiné à accueillir un espace de démonstration des travaux de l’EPFL, le deuxième dédié au développement de scénographies futuristes pour les musées, et le dernier pour héberger le Montreux Jazz Lab, un espace multimédia d’un genre nouveau’’4 (Barraud 2012) Mais ce projet est abandonné, remplacé plus tard par un unique bâtiment: le EPFL Pavilions5 de Kengo Kuma. Ce volume, censé réactiver l’espace, agit paradoxalement comme une barrière. Il ferme visuellement l’accès est-ouest, accentue l’axe nord-sud et rompt l’ouverture initiale du site. Si ce bâtiment définit une première façade, il peine à créer une animation sur la place. Une façade peut-elle suffire à donner une identité à un espace si elle ne génère aucun usage en retour?
Vue de la zone sud campus EPFL en 2017, après la construction du ‘‘ Under One Roof’’ par Kengo Kuma
Des aménagements
Le laboratoire ALICE6 propose une série d’interventions ponctuelles, toutes circulaires : un cercle d’entrée, une agora, une butte, un barbecue. Chacun de ces éléments tente de requalifier la place sans la transformer radicalement. Mais si l’agora, une grande estrade offrant une vue dégagée sur le lac Léman, s’avère effectivement appropriée et appréciée, comme le confirment nos entretiens avec les usagers, les autres dispositifs peinent à convaincre. Les bancs, par exemple, trop bas, sont majoritairement investis comme aires de jeu par la garderie voisine. La répétition systématique de la forme circulaire, loin d’unifier l’espace, tend à restreindre les usages et à fragmenter l’ensemble. On finit par tourner en rond. Ces interventions renforcent-elles vraiment la lisibilité de la place, ou illustrent-elles au contraire une tentative désespérée de structurer un vide par la forme seule?
Vue de la zone sud campus EPFL en 2020, après la construction des aménagements extérieurs du laboratoire ALICE
Une allée
Le projet Double Deck7, prévu pour l’été prochain, ajoutera une nouvelle strate à cette composition déjà complexe. En rénovant la Coupole et en reliant la place Cosandey à celle de l’Esplanade, le campus cherche à unifier ses espaces publics. Mais, depuis 2010, chaque nouvelle intervention8 semble répondre à une logique autonome, sans vision d’ensemble claire. Dans le même ordre, la place Cosandey, n’échappe pas à ce destin, et devient ainsi un patchwork d’intentions accumulées. Jusqu’où peut-on superposer des projets successifs sans compromettre l’unité, la cohérence, voire l’identité même, d’un lieu ?
Vue futuriste de la zone sud campus EPFL après la construction du Double Deck prévu en 2029
Une place?
La place Cosandey semble réunir, en apparence, tous les attributs d’une place : une ouverture, des aménagements, des axes de circulation. Pourtant, elle paraît dénuée de ce qui fonde véritablement une place : une nécessité, une pratique quotidienne, une logique spatiale partagée. Le Rolex Learning Center, pensé à l’origine comme un objet autonome posé dans un champ ouvert, aurait-il dû rester isolé, sans tentative de l’intégrer à une place artificiellement construite autour de lui ?
Ces constats mènent à une interrogation plus fondamentale : fallait-il vraiment créer une nouvelle place sur le campus ?
L’EPFL dispose déjà de deux espaces publics aux fonctions bien établies. L’Esplanade, au cœur du campus, est située à un croisement de flux. Elle est animée par une cafétéria et bien encadrée par des bâtiments actifs. Elle incarne les qualités classiques d’un espace public réussi. Pourquoi ne pas avoir renforcé ce lieu, dont la vocation est déjà affirmée ?
Plus au nord, devant le bâtiment d’architecture, une autre place, plus confidentielle, offre un espace d’exposition intégré au tissu du campus. Dans ce contexte, pourquoi avoir construit le pavillon ArtLab, alors qu’un espace d’exposition existait déjà à quelques pas ?
Ces deux lieux offrent déjà des usages riches et différenciés. Alors, quel programme manquant justifierait l’aménagement d’un nouvel espace d’une telle ampleur ? Tout porte à croire que Balélec, constitue la véritable motivation. Un événement d’une telle importance semble, aux yeux de l’institution, mériter son propre espace.
Ceci n’est pas une place. Ceci est l’espace du Balélec.
Entretien avec les usagers de la place Entretien avec Pierre Gerster – Chef de service, construction gestion – EPFL Entretien avec Vincent Karl Constantin – Chef de projet, espaces extérieurs, gestion – EPFL Entretien avec Sonia Curnier – Professeure et chercheuse – Laboratoire de sociologie urbaine
Sur le campus de l’Université de Lausanne, Karamuk Kuo ont conçu un édifice soigné, bien intégré, qui dévoile une richesse spatiale à l’intérieur. Mais comment cette architecture réagit-elle à l’usage au quotidien?
Anne-Laure Louis-Thérèse et Sofia Pereira Sousa
Dans les années 1960, l’architecte américain Robert Venturi publiait un ouvrage-manifeste en réaction au modernisme dominant. Il y défendait une architecture ouverte aux contradictions et à la complexité du réel. Bien que formulée dans un autre contexte, sa réflexion offre une analogie intéressante pour aborder l’écart entre intention et usage aujourd’hui. C’est donc dans cet esprit que nous avons abordé l’analyse du «Synathlon», un bâtiment contemporain inauguré en 2018 sur le campus de l’Université de Lausanne, conçu pour réunir plusieurs instituts dédiés au sport, à la recherche et à la formation. Nous n’avons pas souhaité réduire notre regard à une simple critique technique ou fonctionnelle. Mais assumer un regard subjectif, nourri à la fois par nos lectures et par nos observations sur le terrain, afin de comprendre ce que ce bâtiment provoque réellement aux gens qui le fréquente.
Le Synathlon bénéficie d’une localisation stratégique, à l’entrée du campus de l’UNIL, en lisière d’une promenade arborée qui descend jusqu’au lac.
Synathlon : Architecture du lien entre sport et recherche
Situé à l’entrée du campus de l’Université de Lausanne, face au lac Léman, le Synathlon occupe une position stratégique qui en fait à la fois un seuil symbolique et un repère spatial. Inauguré en 2018 sur le campus de Dorigny à Lausanne, le Synathlon est né d’une ambition politique et architecturale forte: celle de matérialiser un point de convergence entre le sport international, la recherche universitaire et la formation spécialisée. Son nom-même en porte la trace car il est la contraction de syn (du grec sýn, «ensemble») et athlon («compétition»). Synathlon évoque explicitement l’idée de rassembler plusieurs disciplines autour d’un même projet, à la croisée des savoirs et des pratiques sportives. En réunissant quatre institutions sous un même toit (ISSUL1, FISU[2], AISTS[3], CSI[4]), il entend dépasser les logiques de cloisonnement fonctionnel pour incarner un lieu d’échange, de transversalité et de visibilité. Issu d’un concours SIA[5], le bâtiment projeté se veut à la fois emblématique et discret, durable et intelligible. Son atrium central, baigné de lumière, a été pensé pour fluidifier les circulations et favoriser la rencontre.
Notes
1. Institut des sciences du sport de l’Université de Lausanne
2. Fédération Internationale du Sport Universitaire
3. L’Académie internationale des sciences et techniques du sport
Sur le campus de l’Université de Lausanne, Karamuk Kuo ont conçu un édifice soigné, bien intégré, qui dévoile une richesse spatiale à l’intérieur. Mais comment cette architecture réagit-elle à l’usage au quotidien ? Anne-Laure Louis-Thérèse et Sofia Pereira Sousa ont mené l’enquête.
Anne-Laure Louis-Thérèse et Sofia Pereira Sousa
«Je préfère une architecture complexe et contradictoire à une architecture simple et évidente.» Robert Venturi, Complexity and Contradiction in Architecture (1966)
Dans les années 1960, l’architecte américain Robert Venturi publiait un ouvrage-manifeste en réaction au modernisme dominant. Il y défendait une architecture ouverte aux contradictions et à la complexité du réel. Bien que formulée dans un autre contexte, sa réflexion offre une analogie intéressante pour aborder l’écart entre intention et usage aujourd’hui. C’est donc dans cet esprit que nous avons abordé l’analyse du «Synathlon», un bâtiment contemporain inauguré en 2018 sur le campus de l’Université de Lausanne, conçu pour réunir plusieurs instituts dédiés au sport, à la recherche et à la formation. Nous n’avons pas souhaité réduire notre regard à une simple critique technique ou fonctionnelle. Mais assumer un regard subjectif, nourri à la fois par nos lectures et par nos observations sur le terrain, afin de comprendre ce que ce bâtiment provoque réellement aux gens qui le fréquente.
Le Synathlon bénéficie d’une localisation stratégique, à l’entrée du campus de l’UNIL, en lisière d’une promenade arborée qui descend jusqu’au lac.
Synathlon: architecture du lien entre sport et recherche
Situé à l’entrée du campus de l’Université de Lausanne, face au lac Léman, le Synathlon occupe une position stratégique qui en fait à la fois un seuil symbolique et un repère spatial. Inauguré en 2018 sur le campus de Dorigny à Lausanne, le Synathlon est né d’une ambition politique et architecturale forte : celle de matérialiser un point de convergence entre le sport international, la recherche universitaire et la formation spécialisée. Son nom-même en porte la trace car il est la contraction de syn (du grec sýn, « ensemble ») et athlon («compétition»). Synathlon évoque explicitement l’idée de rassembler plusieurs disciplines autour d’un même projet, à la croisée des savoirs et des pratiques sportives. En réunissant quatre institutions sous un même toit (ISSUL1, FISU2, AISTS3, CSI4), il entend dépasser les logiques de cloisonnement fonctionnel pour incarner un lieu d’échange, de transversalité et de visibilité. Issu d’un concours SIA5, le bâtiment projeté se veut à la fois emblématique et discret, durable et intelligible. Son atrium central, baigné de lumière, a été pensé pour fluidifier les circulations et favoriser la rencontre.
Atouts majeurs du Synathlon désignés par la plupart des usagers lors de notre visite
Sa transparence spatiale veut rendre lisible l’organisation interne, tandis que la sobriété des matériaux tels que le béton brut, le bois et le verre revendique une esthétique pérenne, rationnelle et responsable. L’ensemble affiche une performance énergétique exemplaire, validée par le label SméO Énergie Environnement. Mais ce manifeste formel s’accompagne aussi d’un discours assumé de la part de ses architectes : pour Flavia Sutter, architecte cheffe de projet en charge de la conception et de la réalisation du Synathlon, il s’agit en trois mots d’un bâtiment «lisible, intuitif, collectif»6. L’architecte Jeannette Kuo co-fondatrice de l’agence Karamuk Kuo, le décrit comme «rationnel, sobre et humain»7.
Pourtant, comme le souligne Robert Venturi dans son chapitre «Nonstraightforward Architecture A Gentle Manifesto» dans Complexity and Contradiction in Architecture (1966), toute prétention à la clarté absolue risque d’aplatir la complexité du réel. «Je préfère une architecture complexe et contradictoire à une architecture simple et évidente», écrit-il dans son livre-manifeste. Le cas du Synathlon montre un exemple concret de ce décalage entre l’idéal formel projeté et les réalités d’usage qui émergent une fois le bâtiment habité. Cette tension initiale esquisse une question centrale : que devient un projet, si cohérent soit-il, lorsqu’il est confronté à l’imprévisible de l’usage ?
Des usagers s’adressent au technicien du bâtiment pour obtenir des informations sur son fonctionnement, malgré l’existence d’un guide technique envoyé par mail, qui est censé fournir toutes les explications
Dispositifs techniques
Dans la continuité de son ambition architecturale, le Synathlon intègre un dispositif technique pensé comme une composante essentielle du bâtiment, et non comme un simple ajout fonctionnel. Les choix techniques tels que : stores automatisés selon l’ensoleillement, ventilation naturelle dans les bureaux et mécanique dans les salles de conférence, éclairage partiellement automatique, système de sécurité incendie lié à l’atrium, etc. participent à une logique de maîtrise technologique intégrée, permettant de proposer un bâtiment simple d’usage, performant, où la technique accompagne sans contraindre.
Pourtant, dans la pratique, un écart se creuse. La technique, censée simplifier, tend à complexifier. Les usagers, souvent mal informés ou peu familiarisés avec les systèmes, réagissent par automatisme: ils ouvrent les fenêtres, sans savoir que deux systèmes de ventilation coexistent; ils sont surpris par les capteurs d’éclairage ou déroutés par le fonctionnement des stores. Le technicien du bâtiment l’exprime simplement : «Les gens ouvrent les fenêtres par réflexe […] Ils se plaignent de la température: trop chaud en été, trop froid en hiver».
Selon nous, Cette situation met en lumière un décalage: si les dispositifs techniques ont été pensés pour assurer une circulation fluide, l’expérience concrète des usagers reste marquée par des obstacles et des ruptures. A contrario, pour Flavia Sutter, c’est une question d’apprentissage et d’autonomie ; pour Jeannette Kuo, ce n’est pas un échec mais «une preuve de liberté d’usage». Quant à Yves Golay-Fleurdelys, responsable de la construction durable à l’État de Vaud et président de la commission technique, il rappelle: «L’autonomie était voulue: le bâtiment a été conçu pour ça»8.
L’architecture n’est pas une forme figée, elle se transforme au contact de ses usagers.
Ici encore, ces propos nous rappellent Venturi, quand il écrivait que « la validité peut résulter de l’ambiguïté plutôt que de la clarté»9. Mais ici, l’ambiguïté ne produit pas de richesse, elle crée une friction. Ce n’est pas une contradiction voulue, mais un écart structurel entre intention et usage. Le Synathlon est cohérent dans sa conception, mais cette cohérence entre parfois en conflit avec les pratiques réelles, imprévisibles des usagers. Cette tension, loin d’être un défaut, peut devenir un outil critique: elle rappelle que l’architecture n’est pas une forme figée, mais qu’elle se transforme au contact de ses usagers. Comme le souligne Daniel Pinson dans Usage et architecture, l’usage ne se limite pas à une simple fonction utilitaire; il constitue une réalité anthropologique complexe, façonnée par les pratiques, les conventions et les appropriations sociales.
Le projet initial du noyau de circulation visait à créer un espace de libre passage. En tant qu’externes au bâtiment, nous avons pourtant été arrêtés au dernier niveau et invités à faire demi-tour. Du point de vue des usagers réguliers, en revanche, le noyau central est perçu comme un espace ouvert, fluide, et pleinement fonctionnel.
Public ou privé ? Une ambiguïté spatiale
Au-delà des dimensions techniques et performatives du bâtiment, la question de l’espace partagé révèle une autre forme de tension, plus silencieuse mais tout aussi structurante: celle du statut des lieux et des frontières d’usage qu’ils dessinent. Le Synathlon a été conçu autour d’un atrium central pensé comme un espace fédérateur, traversant, lumineux, symbole d’ouverture et de fluidité. Cette figure verticale devait articuler les différentes entités du bâtiment dans une logique de continuité fonctionnelle et de mixité des usages. Mais dans les faits, l’expérience spatiale trahit cette ambition. Certaines terrasses initialement prévues comme publiques ont été progressivement privatisées par les institutions résidentes, des étages entiers sont inaccessibles au public, et la signalétique demeure ambivalente: des visiteurs accèdent à des zones restreintes sans le savoir. Lors de notre visite, cette ambiguïté s’est matérialisée lorsque nous avons été réprimandées par une personne travaillant sur place, nous signalant que nous n’étions pas invités à nous trouver dans cette zone.
Cette confusion révèle une contradiction fondamentale: un espace conçu comme public mais vécu comme une fragmentation d’espaces; un bâtiment supposé lisible mais perçu comme opaque dans ses transitions.
Les architectes elles-mêmes nuancent ce constat. Pour Sutter, «l’appropriation évolue toujours, surtout avec plusieurs institutions». Kuo reconnaît que «l’intention initiale a été en partie contredite», tandis que Golay insiste sur le fait que «seuls les espaces FISU sont réellement fermés». Ces propos soulignent la difficulté à maîtriser la plasticité réelle de l’espace partagé. Venturi, en évoquant à son époque «l’ambiguïté féconde», nous invitait à voir ces glissements non comme des erreurs mais comme des expressions du vivant. Toutefois, cette ambiguïté n’est pas orchestrée, elle est subie. Le bâtiment n’organise pas la cohabitation des fonctions, il la laisse se redéfinir sans médiation.
C’est dans cette perte de repères que s’exprime le paradoxe entre un noyau central qui se voulait ouvert à tout le monde, mais qui s’avère en réalité partiellement restreint par des usages institutionnels compartimentés.
Le passage sous voie, situé à proximité du Synathlon et entretenu par le même technicien, est très peu, voire rarement, utilisé par les usagers.
Le passage sous voie : un aménagement ignoré
Après avoir examiné des objets de détail au sein même du bâtiment, il est pertinent de porter l’attention vers un aménagement plus périphérique, mais tout aussi révélateur: le passage sous voie. Cet exemple n’émerge pas directement du bâtiment, mais de son insertion dans un territoire plus large, celui du campus et de ses aménagements environnants. Il était logique de l’évoquer, car ce dispositif fait partie intégrante du trajet quotidien menant au Synathlon, en lien direct avec les infrastructures sportives voisines. Situé sous une allée arborée verdoyante, ce tunnel piéton a été conçu pour améliorer l’accessibilité au bâtiment, tout en assurant la fluidité des circulations et en s’inscrivant dans une politique plus large de connexion du campus aux rives du lac.
Construit à grands frais pour sécuriser la traversée de la route cantonale sans perturber la circulation automobile, cet aménagement s’inscrivait dans une logique rationnelle de fluidité et de sécurité. Pourtant, très peu de personnes l’utilisent. Les usagers continuent à traverser la route à niveau, préférant la voie directe, familière, malgré le danger. Le technicien résume avec une pointe d’ironie : «Ça a coûté un saladier, mais les gens ont la flemme de le prendre». Lors de notre visite sur place, les feux de circulation étaient en panne, rendant la traversée du passage piéton encore plus fréquente. Ce décalage entre intention et pratique illustre, à une autre échelle, comment les logiques d’usage peuvent déjouer les aménagements les plus rationnels.
Un label exemplaire… mais en décalage avec le vécu
Le Synathlon revendique une excellence environnementale, d’abord pensée selon les standards du label Minergie. Mais comme pour beaucoup de projets, le coût de cette certification a conduit l’équipe à chercher l’équivalence10. Le projet s’est alors orienté vers le label SméO, considéré comme un équivalent lausannois. Celui-ci met en valeur une enveloppe thermique performante, l’utilisation de matériaux durables à faible énergie grise, une consommation énergétique maîtrisée, ainsi qu’un lien avec le contexte local, notamment par le recours à l’eau du lac. Toutefois, ce bilan technique positif contraste avec l’expérience des usagers. L’eau du robinet reste froide en permanence, dans un souci d’économie d’énergie. Le confort thermique n’est pas toujours à la hauteur des attentes avec des températures jugées pour parfois trop haute en été et trop basse en hiver. Ces remarques ne révèlent pas de défauts majeurs, mais une série de petits écarts qui interrogent la qualité d’usage du bâtiment, pris entre la volonté de répondre à des normes environnementales et les attentes concrètes des usagers en matière de la technique.
La dimension artistique contre l’épreuve de l’usage
Pour conclure, c’est une poignée de porte qui, de manière surprenante mais parlante, condense les tensions et les intentions portées par l’ensemble du projet. Elle intervient à la suite d’un concours lancé par le Canton de Vaud pour intégrer une œuvre artistique au bâtiment, le jury composé des architectes du projet sélectionne à l’unanimité le projet de l’artiste lausannoise Aloïs Godinat. Appelée «poignée-poignée», cette pièce en bois et métal incarne un geste architectural délicat, associant matières et symboles pour inscrire l’esthétique dans l’usage quotidien. Pensée comme un lien entre le bâtiment et ses usagers, elle s’inscrit dans une volonté d’attention portée à l’expérience tactile, discrète mais signifiante. Bien qu’elle ait passé avec succès tous les tests réglementaires requis lors de sa conception et de sa sélection, cette poignée montre ses limites à l’usage quotidien. Elle s’avère sensible à l’usure et son remplacement est couteux. Le Responsable technique du bâtiment en témoigne: «Il faut les remplacer régulièrement. C’est joli, mais pas robuste.» Lors des entretiens menés, au près des responsable du projet Kuo et Golay, se sont dit surpris des critiques émises. Golay rajoute même : «Je ne suis pas au courant de problème de fragilité.» Ce décalage souligne une tension: bien que la poignée ait été conçue pour être cohérente avec les usages, elle est aujourd’hui perçue par plusieurs occupants comme l’un des éléments les plus problématiques du bâtiment.
Le Synathlon nous a paru froid, une impression partagée par l’architecte Sutter elle-même. L’ambiance très épurée du bâtiment contraste avec les dynamiques d’appropriation étudiante, comme en témoigne l’espace d’affichage, limité à une zone bien définie.
Venturi écrivait que l’architecture devait composer avec les tensions entre permanence et altération, entre dessin et usage. Ici, la poignée, objet modeste mais quotidien, devient ainsi l’un des révélateurs les plus tangibles du rapport entre projet et habiter. À sa manière, elle résume le paradoxe du Synathlon: un projet cohérent dans sa conception, ambitieux dans son programme, mais qui, lorsqu’on le confronte aux usages quotidiens, laisse apparaître des fragilités inattendues. Ce type de situation dépasse largement le cas du Synathlon: il reflète une problématique récurrente dans l’architecture actuelle. Comment expliquer ces écarts entre ce qui est pensé et ce qui est vécu? S’agit-il d’un fossé persistant entre les principes théoriques de la conception et la complexité des usages réels? Ou bien d’une tension entre les logiques institutionnelles en place et les intentions des architectes? Peut-être est-ce simplement le lot commun de ces grands équipements collectifs, conçus pour être exemplaires mais qui sont confrontés à la diversité imprévisible de leurs usagers. Elle met en lumière, l’écart parfois ténu entre un projet maîtrisé sur le plan formel et les multiples ajustements de l’expérience concrète. Ce constat ne discrédite pas l’intention initiale, mais souligne combien l’habiter quotidien remet sans cesse en jeu ce qui avait été anticipé comme stable.
Le Synathlon est-il un échec? Certainement pas. Il s’agit d’un projet de grande qualité, tant sur le plan architectural que programmatique, qui témoigne d’une réelle maîtrise dans sa conception et son inscription territoriale. Comparé à d’autres réalisations similaires, il se distingue par la clarté de son organisation, la sobriété de ses matériaux et la justesse de son implantation. Mais cela n’empêche pas qu’il soit traversé par des tensions, non pas imputables à la performance des architectes, mais révélatrices des limites structurelles auxquelles se heurte tout projet ambitieux. Ces contradictions interrogent la capacité de l’architecture à anticiper, ou à accueillir, la diversité des usages: des logiques de circulation parfois contrariées, des appropriations limitées ou différées, des résistances informelles. Et si, derrière l’image d’un bâtiment exemplaire, telle qu’il nous était apparu à travers les documents et discours institutionnels, la véritable richesse du Synathlon résidait justement dans cette part de complexité moins visible, mais intensément vivante?
Anne-Laure Louis-Thérèse et Sofia Pereira Sousa sont étudiantes en architecture au JMA-Fribourg.
Notes
1. Institut des sciences du sport de l’Université de Lausanne
2. Fédération Internationale du Sport Universitaire
3. L’Académie internationale des sciences et techniques du sport
4. International Sports Cluster
5. Rapport de jury du concours
6. Entretien téléphonique du Mardi 13 mai 2025 avec l’architecte Flavia Sutter
7. Échange écrit par mail du Lundi 12 mai 2025 avec l’architecte Jeannette Kuo
8. Échange écrit par mail du Lundi 12 mai 2025 avec Yves Golay – Fleurdelys – président de la commission technique
9. Complexity and Contradiction in Architecture, Venturi 1966. Chapitre: A Gentle Manifesto
10. Entretien téléphonique du Mardi 13 mai 2025 avec l’architecte Flavia Sutter