Auteur/autrice : Étudiant·e JMA-FR, SP 2025

  • Un cristal qui reflète plus qu’il ne révèle, derrière la vitrine du Swiss Tech Convention Center

    Joyau de verre à la lisière du campus, le SwissTech Convention Center fascine autant qu’il interroge : vitrine de l’innovation ou mirage coûteux d’un rayonnement académique rêvé ?

    Porte d’entrée du campus EPFL, à l’endroit où des flots d’étudiants se dépêchent de sortir du métro, un bâtiment aux allures de cristal trône sur une vaste dalle de béton. Avec sa silhouette anguleuse, ses grandes façades vitrées et son porte-à-faux spectaculaire, le bâtiment intrigue autant qu’il interpelle. Il ne laisse aucun passant indifférent, attire l’œil sans que sa fonction ne soit directement lisible. Telle est la première impression que l’on a du SwissTech Convention Center (STCC).

    Véritable repère dans le paysage urbain, il incarne l’ambition portée par Patrick Aebischer, dont la présidence de l’EPFL (2000-2016) va résolument viser à donner une nouvelle image au campus afin d’amplifier son rayonnement, notamment avec des constructions emblématiques. Le projet du STCC s’inscrit dans le projet Campus 2010. Celui-ci vise à renforcer l’attractivité et le positionnement international de l’EPFL en dotant le site d’infrastructures d’enseignement et de recherche de pointe. Le plan intègre la création d’équipements complémentaires destinés à « favoriser une véritable vie de campus ». L’objectif est alors d’ « encourager une dynamique sociale riche et vivante », en résonance avec les activités académiques. Dans cette idée de faire du campus un lieu d’échange et d’innovation, l’EPFL ouvre en juin 2006 un appel d’offres qui s’adresse à des équipes pluridisciplinaires composées d’investisseurs, architectes, ingénieurs, planificateurs et constructeurs concernant « les études, le financement, la réalisation et la gestion d’un centre de conférences et rencontres, d’une galerie marchande et de logements pour étudiants et hôtes académique ». C’est ainsi que sont lancés les premières esquisses de ce que l‘on appellera quelques années plus tard le Quartier Nord. L’appel d’offre pour le Swiss Tech Convention Center s’inscrit ainsi dans une opération urbaine à part entière. Avant le lancement de la procédure le site n’était pas urbanisé, un seul édifice expérimental y était implanté. Ce petit projet était relié au campus par le passage souterrain qui est, toujours aujourd’hui, l’un des seuls accès à cette partie du campus. C’est le bureau Richter Dahl Rocha & Associés architectes SA avec HRS Real Estate SA qui remportent l’appel d’offre. Leur projet se distingue par un repositionnement des éléments du programme. En se détachant du schéma proposé dans le cahier des charges programmatique, les architectes dessinent un projet urbain composé d’une place, un véritable espace public de référence pour le Quartier Nord. Cette piazza articule le centre des congrès, le complexe de logements étudiants et les commerces qui bordent la nouvelle station « EPFL » du métro M1. En créant un nouveau quai de métro au nord, les architectes redéfinissent la porte d’entrée principale du campus. Avec ce nouvel arrêt, la ligne de métro change d’échelle : elle devient un véritable « axe de l’hypercentre », là où elle ne faisait autrefois que longer paisiblement des terrains encore vierges de toute construction.

    Un joyau pour faire rayonner l’innovation

    Concernant le nouveau centre de conférences, c’est le projet d’un cristal dont le scintillement doit éblouir et attirer de nouveaux chercheurs qui est convenu. Mais de quelle manière penser l’implantation d’un joyau de l’innovation ? D’un espace en friche, le quartier Nord devient un pôle urbain dense et dynamique.  Le choix de cet emplacement augmente la liaison entre la ville et le campus. On voit se dessiner une opération plus urbaine que réellement universitaire : la construction d’un bout de ville au Nord du campus. Les architectes le soulignent eux-mêmes : « Nous avons eu la grande chance et le privilège d’imaginer et de créer un morceau de ville, qui vient compléter les infrastructures existantes du campus de l’EPFL ». Il s’agit alors de compléter le campus en y greffant de nouvelles perspectives de rayonnement. Concernant le STCC, celui-ci semble prétendre à la création d’une réelle effervescence qui pourrait rythmer la vie du campus en l’ouvrant à un public extra-universitaire. « Il devait se greffer sur un large campus pour y susciter une dynamique événementielle nouvelle »1. D’après les architectes du STCC, la visibilité est l’élément central qui a défini l’implantation du bâtiment sur la parcelle. Sa localisation, à la lisière du campus, constitue un réel repère dans le paysage et contraste avec les silhouettes environnantes. Il n’est donc pas question de penser un édifice qui se fond dans le tissu du campus. Au contraire, il s’agit de rompre avec celui-ci afin de mettre en scène les nouvelles ambitions de l’EPFL. Ce nouveau « temple du savoir »2 marque ainsi une rupture formelle et symbolique dans le paysage.

    Ce cristal de l’innovation s’inscrit dans un mouvement de gestes iconiques sur le campus mené par Patrick Aebischer. Il commande un objet sculptural qui se doit de marquer les esprits. « En quelques mois seulement, dira-t-il, le Swiss Tech Convention Center est devenu une icône, un emblème, un lieu d’inspiration du Campus au même titre que le Rolex Learning Center au début des années 2010 »3. Cette pensée s’inscrit dans un contexte mondial de gestes iconiques où l’image et la forme sont au cœur des réflexions. Et si l’image devenait un levier essentiel du rayonnement scientifique du campus ? Le STCC, avec sa forme sculpturale évoquant une pierre précieuse étincelante fait écho à une série de bâtiments emblématiques de la période. Nous pouvons citer la Casa da Música de Rem Koolhaas à Porto, la Philharmonie de Paris de Jean Nouvel, la Fondation Louis Vuitton de Frank Gehry ou encore le Musée des Confluences à Lyon, tous imaginés à la même période. Il s’agit de projets que l’on pourrait facilement associer à ce courant de pensée du début du nouveau siècle du fait de leur forme, leur rapport au site et leur matérialité. Ces bâtiments partagent une même ambition : surprendre, interpeller, marquer. Mais à quel prix ? Faut-il être spectaculaire pour être mémorable ? Ces architectures-sculptures fascinent-elles vraiment ou divisent-elles autant qu’elles ne marquent ? Autant de questions que soulève le STCC, véritable signal d’entrée du campus, à l’heure où l’architecture s’accorde au spectaculaire pour affirmer son statut et ses ambitions.

    Vitrine de l’innovation, un cristal qui reflète plus qu’il ne laisse transparaitre.

    Le coût d’un bijou 

    Ce centre de congrès ultra high tech, financé à hauteur de 120 millions de francs prétend faire rayonner le « made in Switzerland » à l’internationale. Il constitue un vecteur essentiel pour valoriser les avancées des chercheurs de l’Innovation Park. Véritable outil de connexion, le campus start up de L’EPFL pourra ainsi dévoiler et mettre en lumière leurs savoirs. Comme le soulignait la vice-présidente de la planification et de la logistique de l’EPFL, « pour son nouveau centre des congrès, l’EPFL a poussé encore plus loin sa réflexion systématique et innovante, en valorisant au mieux toutes les sources d’énergie disponibles à proximité et en offrant une vitrine à des technologies énergétiques émergentes ». Bâtiment vitrine, il s’agit du premier au monde à utiliser un vitrage photovoltaïque basé sur une technologie développée par Michael Grätzel, un professeur et chercheur de l’EPFL. Il est également équipé de sièges rétractables utilisant un système modulable appelé Gala ou encore des parois amovibles qui peuvent disparaître en l’espace de quelques secondes. Transformer et jouer avec l’espace : telles sont les ambitions d’un projet modulable. Le bâtiment nous semble vivant, capable de se métamorphoser en l’espace de quelques secondes pour accueillir toujours plus d’événements. Plus qu’une vitrine, il est une carte de visite du campus et de l’innovation. Dès lors, comment maintenir l’image de ce centre des congrès qui s’inscrit dans une compétitivité internationale ? De quelle manière rentabiliser une opération aussi coûteuse ? Le bâtiment nous semble ouvert à tous les possibles grâce à sa modularité spectaculaire ; le nombre de possibilités n’est-il pas trop ambitieux ? Sa forme et tous les moyens techniques déployés sont-ils justifiés ? Des questions que nous avons posées à plusieurs reprises mais qui sont toujours restées sans réponse. Si le centre n’est pas à la hauteur de ce qu’il prétend incarner, peut-on l’assumer ? Nous sommes venues à nous demander : et si cette image de réussite n’était, au fond, qu’un discours de façade, déconnecté d’une réalité bien plus contrastée ? Plus souvent animé par des événements privés que publics, certaines salles de réunion restent vides, et l’immense salle de 3000 places est rarement exploitée, si ce n’est à l’occasion de la magistrale4, événement tenu une fois par an. Surtout le bâtiment, aussi transparent soit-il, peine à s’ouvrir véritablement aux étudiants. Ses espaces restent pour la plupart sous-exploités. Certaines petites salles entrent en concurrence directe avec d’autres prestataires, et restent inoccupées. Si l’opération est le résultat d’une collaboration public-privé financée par le Crédit Suisse, le Swiss Tech est rapidement devenu un gouffre financier pour l’EPFL, qui louait jusque 2024 les locaux pour la somme considérable de 10 millions de francs par an5. Afin de diminuer les coûts d’exploitation de ce projet ambitieux, une rétrocession anticipée qui s’élève à un montant de 140 millions de francs a été effectuée en 2024, rendant la confédération propriétaire de l’ouvrage. Comment expliquer ce manque de rentabilité ?

    Géopolitiques de l’innovation

    Le STCC n’est pas seulement un objet qui appartient au périmètre du campus, bien au contraire, il s’inscrit dans une dynamique à l’échelle du marché mondial. Dès les premières lignes de la commande lancée par Patrick Aebischer, il était demandé que le centre devrait « réunir les conditions de modularité, de confort et de technicité à même de nous positionner sur la carte des alternatives aux grands sites urbains américains, européens ou asiatiques »7. Dans un marché de la compétitivité internationale, il est nécessaire de se démarquer pour pouvoir avoir une chance d’attirer des clients internationaux. Par ailleurs le marché de l’événementiel est rude et la compétition bien présente. Diego Frank, responsable du développement commercial du STCC, le confirme et nous confie que « la concurrence mondiale est énorme. Nous perdons beaucoup de congrès parce que d’autres pays européens sont beaucoup moins chers. Par exemple, en Belgique, à Anvers, les salles coûtent moitié moins cher, tout comme le service de restauration, à qualité égale. Nous ne pouvons pas dire que nous sommes meilleurs ». La compétition est tellement forte, continue le responsable, et elle va bien au-delà du continent : « Il y a aussi des pays comme les pays du Golfe, par exemple, qui payent des organisateurs scientifiques pour organiser un congrès dans leur », explique-t-il. Même si Martin Kull, CEO et l’un des propriétaires du STCC affirme que « le SwissTech Convention Center figure parmi les centres de congrès les plus modernes et les mieux équipés au monde »8, nous pouvons remettre en question cette affirmation en la confrontant à la compétitivité mondiale qui réactualise en permanence les classements. Si le STCC se démarquait par sa modularité en partie possible par le Gala System qui n’était que très peu utilisé dans les centres de congrès du monde lors de son inauguration, il va rapidement se faire dépasser par de nouveaux centres. À titre d’exemple aux États-Unis, à Dallas, près de six centres de congrès vont être construits en utilisant le Gala System pour des salles d’une capacité supérieure. Diego Frank souligne que la pandémie du Covid 19 a entraîné une diminution de la rentabilité des centres de congrès :« depuis le covid, notre business s’est complètement écrasé ». Aujourd’hui, de nombreuses conférences se tiennent en ligne, par le biais du numérique, ce qui a drastiquement réduit la rentabilité économique des centres de congrès, lesquels traversent une crise profonde à l’échelle mondiale. À titre d’exemple local, l’Expo Centre SA qui exploite le centre de congrès et foires Forum Fribourg à Fribourg a fait faillite et a été contraint de fermer ses portes en 2021 à la suite de la pandémie. En France, le schéma est le même. Comme nous le lisons dans un article du Monde9 concernant les centres des congrès, les salons et les foires en France: « Premiers à terre, derniers à se relever ? Le secteur de l’événementiel, qui s’était effondré en quelques jours à la survenue de la crise sanitaire en mars 2020, sera certainement l’un des derniers à monter dans le train de la reprise économique. Un coup dur pour une filière qui revendiquait avant la crise 41’000 salariés et dix fois plus d’emplois indirects, selon l’Union française des métiers de l’événement (Unimev). Depuis l’irruption du Covid-19, 18.1 % des postes ont été détruits, d’après une enquête menée auprès 1’100 entreprises adhérentes ». Le STCC n’est ainsi pas le seul centre des congrès à traverser des difficultés économiques. C’est une baisse de rentabilité généralisée se fait sentir depuis plusieurs années. Alors comment faire face à cette crise ? Quelle stratégie l’EPFL veut-elle maintenant adopter ? Quel type de clients faut-il aller chercher ? Le centre doit-il ouvrir ses portes à des clients qui s’écartent du cadre académique de l’EPFL, ou, au contraire, assumer pleinement sa vocation académique au prix de pertes financières ? En réalité, les ambitions ne semblent pas avoir changé depuis l’ouverture du centre. Il est toujours d’actualité que le centre ne puisse accueillir que des évènements en lien avec la portée académique du campus. Cette décision implique de fermer les portes à un grand nombre d’investisseurs et donc d’assumer que le centre ne soit pas rentable. Comme le souligne Diego Frank, « il faut dire que chaque centre des congrès n’est pas profitable. Ils sont très grands, ils nécessitent de beaucoup de staff, beaucoup de technologies, et les investisseurs le savent. Un centre des congrès doit être profitable techniquement, car les centres de congrès sont un multiplicateur pour attirer des gens qui viennent voir des conférences et qui par la suite, remplissent les hôtels, les restaurants, vont acheter dans les commerces. C’est donc ça aussi la stratégie ». À l’heure actuelle, le cristal tend davantage à rayonner ponctuellement qu’à scintiller en permanence. Par ailleurs, l’EPFL exige du centre une rentabilité plus importante. Un paradoxe émerge. Combiner une hausse de la rentabilité et le maintien des ambitions académiques de l’EPFL devient un réel défi.

    Le SwissTech Convention Center, un centre synchronisé aux fuseaux horaires du monde entier.

    À qui appartient le joyau ?

    La modularité, idée centrale du projet permet une grande flexibilité d’usage et d’opportunités évènementielles. Mais à qui profite cette modularité ? Qui occupe réellement ces espaces ? Si le Swiss Tech semble très transparent du fait de ses grandes façades vitrées, pourtant, celles-ci masquent une forme d’opacité d’usage. Les espaces les plus fréquentés par les étudiants, professeurs, chercheurs ou visiteurs sont ceux qui entourent le STCC. Les commerces, l’hôtel, les résidences étudiantes attirent des flux massifs d’étudiants, chercheurs ou professeurs. Si nous pouvions dessiner des centaines de parcours qui se croisent tous les jours à son alentour, il se pourrait bien que presque toutes contourneraient le Swiss tech qui ne leur ouvre que rarement ses portes. Devant l’inoccupation de certains espaces, nous pouvons nous demander pourquoi ne pas le rendre plus perméable à ceux qui fréquentent le site au quotidien. La transparence est requestionnée. Ne serait-il pas l’heure d’ouvrir l’imaginaire et de proposer de nouvelles occupations pour faire vivre le bâtiment en exploitant toutes ses capacités ? Il est l’heure de remembrer les attendus d’un centre qui vit sous différents fuseaux horaires et non pas à l’échelle d’un campus. Comment rendre ce cristal moins opaque ? Entre la philosophie de l’EPFL qui reste inchangée et tous les possibles qu’offre ce lieu, il est peut-être temps de ne plus freiner le développement de ce joyau technologique, capable d’élargir considérablement son rayonnement. Diego Frank souligne le potentiel du lieu qui pourrait s’ouvrir à plus de programmes. « Parfois, je pense qu’on doit penser out of the box et pour le moment, nous sommes très classiques, on fait des conférences et événements scientifiques et médicaux, mais je pense qu’il y énormément de potentiel avec l’e-sports, avec le domaine des IA et surtout avec les 15 000 étudiants de l’EPFL juste à côté de nous. Nous avons du potentiel pour faire plus ici ». Une foule d’événements est possible. Pourrions-nous imaginer une réelle mixité d’usages combinant occupations éphémères et permanentes ? Le STCC ne pourrait-il pas accueillir les chercheurs de l’Innovation Park ? Accueillir des occupations plus pérennes, des programmations mixtes, des espaces partagés plus que des événements privés ponctuels ? Pourquoi ne pas accueillir les Polymanga ? Des spectacles de danse, des chorales, des pièces de théâtre ? Laissons s’exprimer notre imagination pour rendre ce cristal moins opaque mais plus scintillant.

    Entre silences et paroles, un centre qui connait le vide autant que la vie.

    1 Patrick Aebischer cité dans le livre the SwissTech Convention Center EPFL Quartier Nord,École Polytechnique Fédérale de Lausanne », éditions Favre SA, Lausanne, 2014

    2 Jean Luc Rochat, responsable Région Suisse Romande

    3 Patrick Aebischer cité dans le livre the SwissTech Convention Center EPFL Quartier Nord,École Polytechnique Fédérale de Lausanne », éditions Favre SA, Lausanne, 2014

    4 Cérémonie de remise des diplômes

    5 « Le SwissTech Convention Center passera aux mains de la Confédération ». Le Temps, 29.06.2022

    6 Patrick Aebischer cité dans le livre the SwissTech Convention Center EPFL Quartier Nord,École Polytechnique Fédérale de Lausanne », éditions Favre SA, Lausanne, 2014

    7 Martin Kull, CEO et propriétaire

    8 Vermeylen Margot, « Evénementiel : pour la reprise, rendez-vous à la rentrée ». Le Monde, 03.07.2021

  • L’Unithèque s’agrandit

    Entre dialogue et décalage : l’extension de l’Unithèque à l’épreuve de son modèle

    Mathias Rouiller et Meg Varone

    Aménagement provisoire lors de l’ouverture du 26 mai 2025.

    Un héritage à prolonger 

    Située au cœur du campus de Dorigny, l’Unithèque représente un emblème dans le paysage universitaire de Lausanne. Conçue par Guido Cocchi en 1983, elle incarne un geste architectural fort, mêlant paysage, avec son panorama sur le lac et les alpes et volumétrie, comme son implantation en amphithéâtre suivant la topographie de la parcelle. Avec l’essor démographique de l’Arc lémanique et l’augmentation du nombre d’étudiants à l’UNIL, une extension devenait indispensable pour répondre aux besoins des utilisateurs. Pour se faire, l’État de Vaud et l’UNIL prévoient de construire une extension visant à multiplier par deux la capacité du bâtiment existant. Lors du concours, certains architectes ont choisi de respecter l’extension proposée par Cocchi, en s’inscrivant à l’arrière du bâtiment existant. D’autres, en revanche, ont pris le parti du détachement, abordant le projet comme une occasion d’introduire une nouvelle architecture.

    Le bureau Fruehauf, Henry & Viladoms, lauréat du concours, relève ce défi en proposant une intervention qui prolonge l’esprit du bâtiment, en s’implantant à l’arrière tout en apportant des réponses actuelles aux exigences contemporaines. Cet article propose d’en analyser les concepts à travers quatre axes de lecture : implantation, typologies, échelles et atmosphères.

    Entre effacement et mise en scène

    L’extension de l’Unithèque s’inscrit dans une démarche attentive à la logique d’implantation du bâtiment original conçu par Guido Cocchi. À l’époque, l’architecte prévoyait que la bibliothèque puisse s’agrandir dans le temps. Il rejetait l’idée d’une prolongation du bâtiment en arc de cercle, estimant qu’elle créerait des parcours excessivement longs et peu fonctionnels. Il proposait au contraire un agrandissement à l’arrière, dans le prolongement naturel de la pente.

    Le projet respecte cette vision en implantant le nouveau volume en retrait et dans la continuité de la topographie. Loin de détourner l’attention de la façade lacustre emblématique, il préserve son rôle principal dans le dispositif du campus. L’extension reprend la volumétrie en éventail du bâtiment existant, lui permettant de s’intégrer dans l’ensemble sans chercher à rivaliser formellement.

    Le nouveau geste architectural reste conséquent mais presque invisible depuis les espaces publics principaux, dans une volonté affirmée de ne pas perturber le caractère paysager du site. En plan comme en coupe, le bâtiment devient un seul corps continu, articulé autour de la pente, où les deux parties se rejoignent. Cette intégration topographique rend la transition fluide entre l’existant et le nouveau, tout en prolongeant l’esprit de discrétion défendu par Cocchi.

    En haut l’Unithèque telle que conçue par l’architecte Cocchi, en bas le chantier de l’extension à l’arrière du bâtiment.

    Terrasses, transitions et clarifications spatiales

    Le plan de l’extension s’inscrit dans la continuité du schéma en éventail développé par Cocchi, dont la géométrie répondait déjà à une logique de rationalisme structurel et d’optimisation des vues. Ce choix permet non seulement une résonance formelle à l’existant, mais il prolonge aussi l’organisation extérieure en terrasses, véritable enjeu typologique du projet initial.

    L’espace se développe à partir d’un nouveau parcours qui débute dès l’entrée principale et guide l’usager à travers une succession de plateaux organisés en cascade. Cette nouvelle circulation intérieure offre une transition fluide vers l’extension tout en mettant en scène la pente naturelle du terrain.

    Le lien entre les deux bâtiments n’est pas seulement structurel ou fonctionnel : il devient perceptible par des jeux d’ouvertures notamment sur le plateau reliant existant et extension et par la mise en scène d’un balcon intérieur créant un dialogue visuel entre les niveaux supérieurs. Ce système contribue à maintenir une certaine cohérence typologique, sans renoncer à une réinterprétation contemporaine des logiques d’usage.

    La proposition d’agrandissement de Cocchi qui s’inscrit à l’arrière de l’existant,

    Le plan lauréa par le bureau Fruehauf, Henry & Viladoms.

    Entre bibliothèque de proximité et geste institutionnel

    L’architecture de Cocchi adopte une échelle modeste où les portées sont limitées. L’espace y est dense, feutré, à taille humaine, renforçant le caractère accessible du lieu. L’extension s’inscrit dans une autre logique. Si elle reprend la structure en terrasses, elle adopte une échelle plus institutionnelle. Les grandes portées, la hauteur des volumes, la dissimulation des éléments techniques évoquent davantage l’univers muséal que celui d’une bibliothèque et la filiation avec le nouveau MCBA  semble équivoque. L’absence de vue sur le lac, compensée par la générosité des volumes intérieurs, révèle une volonté de créer une forme de monumentalité intérieure.

    La suppression du campanile initialement prévu a recentré le projet sur une volumétrie plus contenue. Ce retrait contribue paradoxalement à renforcer la cohérence d’échelle avec l’ensemble existant, tout en évitant une surenchère formelle. À la place, pour marquer le nouvel accès au bâtiment, un portique d’entrée a été aménagé. Il vient remplacer l’entrée initiale, désormais trop petite et inadaptée à l’échelle du nouvel ensemble.

    Initialement estimée à 71 millions, la facture finale de l’extension de l’Unithèque pourrait atteindre 98,2 millions de francs, suite à trois crédits supplémentaires accordés par le Conseil d’État vaudois. Les raisons de cette hausse tiennent à des imprévus géologiques, à des coûts de construction sous-évalués, mais aussi à des choix qualitatifs : augmentation du recours au bois, amélioration du traitement de l’air pour les collections patrimoniales, et extension du champ photovoltaïque initialement prévu.

    L’ambiance domestique de l’ancienne bibliothèque.

    La monumentalité du nouveau projet avec ses portées de plus de 30 mètres.

    Du domestique au public

    Dans le bâtiment original, l’ambiance est chaleureuse : moquette orange, détails en bois, lumière diffuse. Cocchi rend visible la technique de l’édifice, dans une logique presque didactique, où l’étudiant comprend l’espace qu’il occupe comme si le bâtiment était un livre ouvert qu’il peut consulter. (Nadja Maillard, 2013)

    A l’inverse, l’extension adopte une matérialité plus brutale marquée par la dominance du béton, des teintes neutres et un systèmes technique dissimulé. Selon les architectes, quelques éléments en bois viennent nuancer cette atmosphère : les mains courantes, le mobilier et le plafond du desk. Néanmoins, leur présence reste très ponctuelle. Ce choix, arrivé tardivement pendant l’exécution, répond autant à des contraintes budgétaires qu’à une volonté d’instaurer une ambiance chaleureuse à l’ensemble très minéral du projet. On assiste alors à une forme de non-choix dans l’expression de la matérialité, qui révèle une atmosphère faite de compromis, ni réellement affirmée ni vraiment contextuelle. Peut-on encore y reconnaître l’esprit de l’UNIL ?

    L’utilisation du métal dans les étagères, mise en place pour des raisons de délai et de conservation des ouvrages, reprend certes la matérialité des rayonnages du bâtiment initial. Pourtant, la perception générale diffère : d’un lieu chaleureux et convivial, on passe à un d’espace monumental et glacial.

    Une continuité interprétée

    L’extension de l’Unithèque ne s’inscrit ni d’une rupture radicale, ni d’une imitation servile. Elle s’inscrit dans un dialogue critique avec l’existant, prolongeant certaines intentions fondatrices, ancrage topographique, géométrie en éventail ou encore une organisation en terrasses, tout en assumant une nouvelle matérialité, une échelle amplifiée et une atmosphère résolument institutionnelle.

    Plutôt qu’un prolongement littéral, le projet propose une relecture contemporaine des besoins universitaires : accueillir un plus grand nombre d’usagers, intégrer des fonctions complémentaires, répondre à des normes techniques plus complexes. Il incarne une vision ambitieuse de l’espace académique. Toutefois, cette ambition soulève des interrogations.

    Est-il nécessaire de déployer un tel dispositif spatial pour répondre aux usages ordinaires d’une bibliothèque ? Une telle monumentalité est-elle justifiée, ou risque-t-elle de créer une distance symbolique entre l’architecture et ses usagers ?

    Cela dit, la visite in situ nuance ces réserves. Ce que l’on pouvait craindre d’étouffant ou de démesuré à la lecture des plans, se révèle, dans l’expérience sensible de l’espace, étonnamment accueillant. La lumière, la clarté des volumes et la fluidité des parcours offrent un cadre de travail à la fois impressionnant et serein. On s’y projette aisément comme étudiant, porté par une spatialité généreuse, silencieuse et maîtrisée.

    Reste à savoir ce qu’en diront les véritables usagers : les étudiants eux-mêmes, lorsque l’ensemble du bâtiment, extension et rénovation comprise, sera pleinement accessible et pourra être vécu au quotidien. C’est sans doute là que se jouera, en définitive, le véritable verdict architectural qui a débuté en mai dernier par l’ouverture partielle de l’espace.

    Sources

    BAUMANN, Adrian, 2023. Le chantier de l’Unithèque se dévoile. BCUL [en ligne]. 30 août 2023. Disponible à l’adresse : https://www.bcu-lausanne.ch/la-vie-a-la-bcul/le-chantier-de-l-unitheque-se-devoile/

    BONARD, Clément et ATS, 2024. Université de Lausanne : Nouvelle hausse des coûts des travaux de la « banane » . 24 Heures [en ligne]. 19 janvier 2024.
    Disponible à l’adresse : https://www.24heures.ch/universite-de-lausanne-nouvelle-hausse-des-couts-des-travaux-de-la-banane-689069861067

    Competitions Espazium, 2015. Extension du bâtiment Unithèque à Dorigny, une nouvelle bibliothèque pour l’Université de Lausanne. [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://competitions.espazium.ch/fr/concours/decides/extension-unitheque-dorigny-nouvelle-bibliotheque-universite-lausanne

    MAILLARD, Nadja, 2013. L’Université de Lausanne à Dorigny.
    ISBN 978-2-88474-280-1

    SUISSE, Radio Télévision, 2015. La bibliothèque universitaire lausannoise va s’agrandir à Dorigny. rts.ch [en ligne]. 2 février 2015. Disponible à l’adresse : https://www.rts.ch/info/regions/vaud/6508792-la-bibliotheque-universitaire-lausannoise-va-sagrandir-a-dorigny.html

    SUISSE, Radio Télévision, 2024. La facture de l’agrandissement de la « Banane » ne cesse de gonfler. rts.ch [en ligne]. 19 janvier 2024. Disponible à l’adresse : https://www.rts.ch/info/regions/vaud/14637745-la-facture-de-lagrandissement-de-la-banane-ne-cesse-de-gonfler.html

    POEL, Cedric van der, 2016. Le poids de l’histoire. [en ligne]. 30 mars 2016.Disponible à l’adresse : https://www.espazium.ch/fr/actualites/le-poids-de-lhistoire

  • Symbiose ou conflit sous la toiture de Kengo Kuma

    Symbiose ou conflit sous la toiture de Kengo Kuma

    Pensé pour rapprocher les mondes de l’art, de la science et de la vie universitaire, le bâtiment « Under One Roof » n’a jamais trouvé comment les faire cohabiter.

    Thibault Koulmey et Alexandre Tâche

    Inauguré en 2016, le bâtiment Under One Roof sur le campus de l’EPFL devait incarner une nouvelle étape dans l’évolution du campus, passer d’un site universitaire fermé à un lieu d’échange ouvert. Après le Rolex Learning Center ou le Swisstech Convention Center, l’EPFL a poursuivi cette stratégie en lançant un concours international sur invitation, destiné à attirer des agences de renommées. L’ambition ne concernait pas uniquement la forme, mais aussi les usages : faire du campus un pôle visible d’expositions et d’activités liées aux arts et à la recherche.

    Façade donnant sur la cour @Tâche Alexandre

    C’est dans ce contexte qu’a été choisi le projet de l’architecte japonais Kengo Kuma, dont la proposition consistait en une structure élancée en bois, s’insérant dans la topographie. Le bâtiment regroupe trois programmes : un café/restaurant, un espace d’exposition artistique, et un autre consacré à la recherche scientifique. Mais derrière cette ambition affichée, le projet Under One Roof est né d’un contexte politique et institutionnel plus complexe. Dès ses origines, le bâtiment portait l’empreinte de Patrick Aebischer, président de l’EPFL à l’époque, qui souhaitait positionner le campus comme un lieu d’avant-garde pour l’art. Ce projet était notamment lié à un partenariat avec la Fondation Gandur, qui espérait exposer ses collections dans le nouveau bâtiment.

    Ce partenariat a pourtant rapidement tourné à la crise. La Fondation Gandur, souhaitant jouer un rôle central dans la gouvernance du lieu. Les conflits autour de la direction artistique, du financement et des conditions d’exposition ont conduit à une rupture brutale entre les deux parties en 2017. Le projet déjà en construction a dû être reconfiguré, perdant ainsi une partie de sa cohérence initiale. Comme l’ont révélé plusieurs enquêtes journalistiques (RTS, 2015–2018), les bases institutionnelles du projet étaient instables dès le départ. Malgré ce contexte, le bâtiment a ouvert ses portes avec plusieurs expositions notables. Parmi elles, «Noir c’est noir», une exposition marquante autour de la couleur noire dans les arts et les sciences, organisée en collaboration avec divers laboratoires de l’EPFL. Ces initiatives ont montré la richesse potentielle d’un dialogue entre disciplines artistiques et scientifiques. Pourtant, cette dynamique n’a pas suffi à stabiliser le programme.

    Toiture entrée Nord @Thibault Koulmey

    Le bâtiment se distingue par sa toiture en ardoise, ses matériaux sobres et ses lignes élancées. Il s’insère avec délicatesse dans la pente, créant un dialogue avec le reste du site. Plusieurs usagers soulignent son caractère singulier : «Il est vraiment différent des autres bâtiments du campus», note un étudiant en master de microtechnique. «Il a une ambiance japonaise, je le recommande à des visiteurs.» Mais derrière cette légèreté apparente, l’architecture a été contrainte par des exigences muséographiques. Le bâtiment a été conçu selon une logique de «white box», un principe muséal qui impose des espaces fermés, sans ouverture, pour garantir la neutralité des conditions d’exposition.

    Cela explique en partie la fermeture physique du bâtiment, pourtant pensé au départ comme traversant et ouvert. «Des modifications dans le projet initial ont rendu ce bâtiment très fermé», constate Monsieur Veillon. L’entrée nord depuis l’Esplanade, bien qu’emblématique, est aujourd’hui peu utilisée, et les volumes intérieurs apparaissent difficilement lisibles pour les usagers. Ce sentiment est partagé par les étudiants. «Le bâtiment a l’air fermé sur lui-même. La façade sans vitre nous invite plus à le longer qu’à entrer dedans», commente le même étudiant. «Ce n’est pas un endroit où on va étudier, c’est juste pour traverser.»

    L’EPFL poursuivait un objectif clair : faire du campus un espace ouvert aux arts et à l’innovation scientifique, en mettant en valeur ses laboratoires par le biais d’expositions. Le projet de Kuma, fluide et modulable, semblait bien répondre à cette ambition. Mais la crise avec la Fondation Gandur a déstabilisé le programme.

    Façade sud, Montreux Jazz Café @Alexandre Tâche

    Monsieur Veillon nous explique que les trois fonctions (restaurant, expositions artistiques, expositions scientifiques) ont coexisté, mais sans créer de synergies réelles. À l’exception de quelques événements partagés, les usages sont restés fragmentés. L’équipe de programmation, peu intégrée à la vie du campus, n’a pas réussi à créer un lien fort avec les étudiants et chercheurs. Cette absence de stratégie unifiée a nui à l’identité du lieu. «J’ai visité une expo une fois tous les six mois», nous dit l’étudiant interrogé. «C’est plus un endroit que je longe».

    Si la pandémie de Covid-19 a ralenti les débuts du bâtiment, la programmation perçue comme élitiste, le cloisonnement des fonctions, le manque de visibilité dans les circuits étudiants, n’ont pas aidé au développement du projet dans le campus. Monsieur Veillon le reconnaît : « Le bâtiment est resté passablement muet. Il n’a pas réussi à attirer les usagers du campus. » La décision de fermer les espaces d’exposition à l’été 2025 acte l’échec du programme initial. Seul le restaurant restera ouvert. Cette situation interroge : pourquoi un bâtiment aussi bien situé, aussi soigné architecturalement, n’a-t-il pas trouvé son public ? Comment expliquer un tel écart entre l’intention et la réalité ?

    Le bâtiment de Kengo Kuma ne manque pas de qualités. Il s’inscrit dans le site avec justesse, suit la pente, crée une place là où il n’y avait qu’un vide. Il s’intègre harmonieusement dans le campus, avec une présence discrète mais forte. En ce sens, il est très différent des autres bâtiments emblématiques du campus, souvent plus monumentaux. Mais l’histoire de ce projet révèle une instabilité dès le début. Il a été porté par une volonté personnelle forte, celle de l’ancien président Aebischer, puis fragilisé par un scandale autour de la gouvernance et du rôle de la Fondation Gandur. Ce défaut d’ancrage initial se retrouve dans la difficulté qu’a eue le bâtiment à s’adresser à ses usagers.

    Façade est, donnant sur place, vue comme assez fermée @Thibault Koulmey

    Aujourd’hui, il est là. Construit, peu utilisé, mais encore riche de possibilités. Comme le propose l’étudiant interrogé : «Peut-être qu’on pourrait y faire des espaces de travail ?» Une idée simple, mais concrète. Le lieu pourrait devenir un espace hybride, accessible, adaptable. Under One Roof mérite mieux qu’un abandon silencieux. Il mérite une deuxième chance. Il appartient maintenant à l’EPFL, c’est à ses usagers de lui redonner un rôle.

    ____________________________________________________________

    Sources :

    Interview avec Cyril Veillon / Directeur Archizoom
    Interview avec un étudiants en microtechnique à l’EPFL (Rémi)

    Photographies :
     Thibault Koulmey
    Alexandre Tâche

    Jodidio, Philip. Under One Roof: EPFL ArtLab in Lausanne by Kengo Kuma. Munich ; New York : Prestel, 2019. 176 p. ISBN 978-3-7913-5805-5.

    Articles en ligne

    RTS. Le divorce est consommé entre la Fondation Gandur et l’EPFL [en ligne]. 18 octobre 2018. Disponible à l’adresse : https://www.rts.ch/info/suisse/9849255-le-divorce-est-consomme-entre-la-fondation-gandur-et-lepfl.html

    RTS. Pose de la première pierre du projet « Under One Roof » à l’EPFL [en ligne]. 11 novembre 2014. Disponible à l’adresse : https://www.rts.ch/info/regions/vaud/6565711-pose-de-la-premiere-pierre-du-projet-under-one-roof-a-lepfl.html

    RTS. L’embarrassant contrat de l’EPFL avec la Fondation Gandur pour l’art [en ligne]. 3 février 2016. Disponible à l’adresse : https://www.rts.ch/info/suisse/7667231-lembarrassant-contrat-de-lepfl-avec-la-fondation-gandur-pour-lart.html

    ARQUITECTURA VIVA. Experimental Pavilions in EPFL [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://arquitecturaviva.com/works/experimental-pavilions-in-epfl

    ESPAZIUM. Le spectacle du savoir [en ligne]. 2 février 2017. Disponible à l’adresse : https://www.espazium.ch/fr/actualites/le-spectacle-du-savoir

    ESPAZIUM. L’art de la simplicité [en ligne]. 27 février 2017. Disponible à l’adresse : https://www.espazium.ch/fr/actualites/lart-de-la-simplicite

    RTS. ArtLab, un bâtiment dédié à la science et à la culture inauguré à l’EPFL [en ligne]. 14 novembre 2016. Disponible à l’adresse : https://www.rts.ch/info/regions/vaud/8139550-artlab-un-batiment-dedie-a-la-science-et-a-la-culture-inaugure-a-lepfl.html

  • Le Vortex, une masse attirée par le centre ?

    Le Vortex, une masse attirée par le centre ?

    Situé sur les hauteurs de Lausanne, à Chavannes-près-Renens, le Vortex se veut une réponse emblématique à la densification universitaire et à la crise du logement étudiant. Mais derrière l’ambition affichée et la puissance du geste architectural se cache un projet aux limites évidentes, tant sur le plan de l’aménagement urbain que de la qualité des espaces paysagers.

    Izadora Botelho & Tulay Basagac

    Un village en spirale

    Cet immeuble destiné au logement étudiant, est né d’une décision politique visant à soutenir la candidature de Lausanne pour accueillir les Jeux Olympiques de la Jeunesse (JOJ) 2020. Il devait loger 1 700 athlètes avant d’être transféré à l’université de Lausanne pour un usage à long terme. Dürig, l’architecte en charge de ce projet, avait pour objectif principal de créer une architecture favorisant la cohabitation entre les habitants. Il parle de village-rue et cite dans le livre « Le Vortex: l’architecture du cercle », p.149:

    L’architecte laisse entendre que la volonté architecturale était d’ordre typologique et non volumétrique. Il développe ainsi un projet de bâtiment à cour et coursives ciruclaires, des dispositifs qui, par leur forment, invitent à habiter un centre. Le concept est renforcé par l’appelation « Vortex » : ce therme évoque une architecture centripète et dynamique, qui aspire les flux humains ver un centre attractif, comme un point de convergence sociale.

    Historiquement, les villages construits en cercle favorisent l’égalité et la centralité dans la manière de vivre. Cette disposition encourage l’inclusion, la communication et la visibilité mutuelle. La cour, quant à elle, offre un espace semi-public propixe aux rencontres dans un cadre sécurisé. Socialement, ces aménagements renforcent le sentiment de communauté.

    Cependant, regrouper un village en cercle touche un aspect fondamental de l’architecture : celui de délimiter, de créer un « dedans » et un « dehors ». Cette forme est souvent été utilisée comme une mesure défensive, une manière de se protéger des dangers extérieurs. Elle crée une proximité à l’intérieur des remparts, mais induit également une séparation vis-à-vis de la ville environnante.

    Dans le projet du Vortex, nous allons analyser comment ces dispositifs architecturaux, visant à orienter la vie sociale vers le noyau central, sont vécus par les usagers, et comment le bâtiment interagit avec son environnement.

    Les limites du concept 

    Nous sommes allés sur place pour comprendre comment se vit le Vortex. Les entretiens avec les habitants et les commerçants nous ont permis d’évaluer si le projet, qui vise à animer un village le long d’un chemin, est réalisable grâce aux dispositifs architecturaux imaginés par Dürig. 

    Nous avons remarqué que le bâtiment actuel, avec ses coursives extérieures, semble parfaitement adapté pour accueillir des étudiants à long terme. Ces derniers apprécient généralement les lieux calmes, tout en favorisant les échanges. Malgré certaines réserves concernant le manque d’intimité causé par le passage sur les coursives, les étudiants interrogés ont généralement exprimé une perception positive. Ils ont souligné la qualité architecurale du bâti, la bonne isolation phonique, ainsi que l’utilité sociale des coursives. 

    Les utilisateurs du vortex expriment une satisfaction générale quant à la localisation privilégiée du site, bien que la place centrale soit négligée. Lorsqu’ils sont interrogés sur l’usage de la cour et la vie sociale au sein du bâtiment, les habitants soulignent une absence de qualité paysagère et de dynamisme collectif au sein de la résidence.

    Bien que le Vortex soit apprécié par un grand nombre d’étudiants, l’usage de son aménagment urbain soulève néanmoins quelques questions. Par son geste architectural fort et l’ambition portée par sa forme emblématique, le Vortex répont certes à la crise du logement étudiant, mais révèle également les limites évidentes imposées par cette géométrie  imposante.

    Vue aérienne du Vortex, ©Fernando Guerra | FG+SG

    Une forme emblématique, mais peu contextuelle

    Cet objet circulaire, remarquable d’un point de vue visuel, crée une rupture nette avec le tissu urbain environnant. Agissant comme une forme d’autorité, cet anneau de 130 mètres de diamètre évoque un village fortifié, replié sur lui-même. Sa monumentalité concave rompt tout dialogue avec le campus universitaire, la ville voisine ainsi que les espaces naturels alentour, comme la forêt.

    Initialement pensés pour animer le projet et générer une dynamique urbaine en lien avec le voisinage, l’idée des commerces en rez-de-chaussée est également un moyen de rencontre pour les étudiants. Toutefois, ces espaces, accessibles depuis la cour centrale, ne sont pas véritablement mis en valeur. Les trois entrées du bâtiment, assez discrètes et peu aménagées, n’invitent pas le public dans ce complexe de manière à enrichir les commerces. 

    Le bâtiment semble s’auto-suffire, mais cette absence d’ouverture à l’extérieur, cette fermeture sur lui-même, contribue malheureusement au non-fonctionnement de ces espaces commerciaux en limitant leur attractivité, comme en témoigne la fermeture de la terrasse située en toiture. Cette centralité et cette fermeture de son aménagement illustrent un projet sans communication directe avec les usagers. 

    Le bâtiment manque d’articulations fines avec les espaces publics ainsi qu’avec les abords immédiats. Au sein du bâtiment, des seuils, des transitions ainsi que des lieux de rencontre ou de travail aux étages, où les étudiants peuvent s’approprier les espaces, pourraient créer une interaction avec les usagers internes et externes, faisant du Vortex un véritable morceau de ville. Ces remarques nous rappellent l’intention de Dürig, telle que formulée dans l’ouvrage «Le Vortex Architecture du cercle» p.150

    Une cour centrale surdimensionnée… mais sous-exploitée

    Le cœur même du Vortex, cette immense cour intérieure, reflète les limites d’un espace mal aménagé et difficilement appropriable. Pensée comme un espace communautaire, cette cour généreuse, aux dimensions quasi urbaines, crée une échelle disproportionnée qui tend à intimider plutôt qu’à inviter les usagers à s’y installer. Le manque d’aménagements adaptés, l’absence de plantations structurantes ou de zones ombragées contribuent à faire de ce lieu un espace minimaliste, presque stérile, dont l’usage et l’appropriation par les étudiants demeurent difficiles. 

    Dans le contexte paysager, le Vortex semble se refermer sur lui-même. Il ne tisse aucun véritable lien avec son environnement et tourne le dos à la ville. Tout paraît se jouer à l’intérieur du bâtiment ou ailleurs sur le campus. Ce manque d’ouverture se fait ressentir dans l’usage du lieu : la cour reste vide, ou en tout cas, elle ne contribue pas autant qu’on pourrait l’espérer à une vie communautaire étudiante. 

    La place centrale, qui historiquement servait d’espace d’expression démocratique, de marché, de fête ou de protestation,  reste en marge de la vie sociale du Vortex.  Ce «forum vivant», qui devait être le point de rencontre central des étudiants, ressemble malheureusement plus à un symbole qu’à un espace réellement actif et unificateur.  

    Rendu image 3D du projet , © Courtesy of Dürig AG

    Photo de la cour du Vortex, avril 2025, © Izadora Botelho

    Une cour habitée, «critique réparatrice»

    Si l’espace central est vide, pourquoi ne pas envisager de renouer avec l’histoire agricole du site pour lui redonner vie ? 

    En aménageant des jardins sauvages, en laissant pousser des herbes hautes et en permettant aux animaux de vagabonder librement, on pourrait atténuer la rigidité du lieu et recentrer l’attention des usagers sur l’espace collectif, afin de favoriser les interactions sociales.

    Cour intérieure ambiance prairie, montage personnel © Tulay Basagac

    Notes


    Lieux: Lausanne

    Date de construction: 2017-2019

    Architecte responsable du concept architecturalprojet: Jean-Pierre Dürig (Dürig AG)

    Architecte responsable de la conception détaillée du projet: Itten + Brechbühl SA

    Partenariat: public-privé

    Maitres d’ouvrages: Caisse de pension de l’Etat de Vaud

    Couts: 156 millions

    Surface au sol : 36’700 mètres carrés

    Hauteur : 29 mètres

    941 chambres  

    2400 mètres d’espace partagés : restaurants, café, garderie, magasins et salles de réunions modulables.  

    Diamètre extérieur 137 mètreS  

    Diamètre intérieur 105 mètres  

    Rampe 2,8 km avec 1% d’inclinaison

    Bibliographie


    Jodidio, P. (s.d.). Le Vortex : Architecture du cercle. Rizzoli Electa.

    Itten+Brechbühl. (s.d.). Vortex. Archiswiss. https://archiswiss.ch/architecture/vortex-ittenbrechbuhl/

    ArchDaily. (2015, novembre 1). Durig AG designs student housing for University of Lausanne. https://www.archdaily.com/769453/durig-ag-designs-student-housing-for-university-of-lausanne/55934ca3e58ece2fb50002c4-durig-ag-designs-student-housing-for-university-of-lausanne-image?next_project=no

    ArchDaily. (2020, juin 11). Vortex Student Housing / DURIG AG + Itten+Brechbühl. https://www.archdaily.com/941502/vortex-student-housing-durig-ag-plus-itten-plus-brechbuhl/5ee18861b35765c6d80002bc-vortex-student-housing-durig-ag-plus-itten-plus-brechbuhl-plan?next_project=no

    CPEV – Centre de promotion des études (2020, octobre). Vortex [Livret de présentation]. https://www.cpev.ch/sites/default/files/files-document/2020-10/CPEV_Vortex_livret_oct2020.pdf

    Université de Lausanne. (s.d.). Vortex : Se loger sur le campus. https://www.unil.ch/unil/en/home/menuinst/travailler/welcome-centre/vortex-se-loger-sur-le-campus.html

  • Journal de bord – Anthropole

    Journal de bord – Anthropole

    En l’an 1987, après trois ans de construction, l’Anthropole voit le jour. Magnifique vaisseau de béton conçu par Mario Bevilaqua, Jacques Dumas et Jean-Luc Thibaud, qui voulaient, par cet objet, créer une « machine à échanges ». Ce lieu aura servi pendant de longues années.

    Benoît Boegli et Zohra Geinoz

    2049_03_17
    Départ en mission
    Le capitaine Alex March Fourc nous a appelés pour une mission, celle-ci consiste à explorer l’Anthropole ¹. En ce jour du 17 Mars, nous arrivons face à une impressionnante masse. Cette forme nous évoque un sentiment d’agressivité. La coque, avec sa géométrie à redents, semble être là pour défendre le mécanisme intérieur.

    Lorsque nous franchissons la grande porte de verre qui se replie à l’intérieur de sa masse, un sentiment d’immensité s’installe. La prédominance du béton nous paraît austère. Un réseau de tuyaux bleus parcourt le plafond, il semble alimenter une machine. Le lieu paraît vivant.
    Photo porte, 2049_03_17

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    Rencontre avec le lieu
    Cela fait maintenant quelques jours que nous parcourons la station. Nos premières interactions avec la population qui y réside sont minimes. Nous avons l’impression de leur paraître invisibles. C’est à l’heure des repas que le monde s’active. En dehors de ces moments-là, ils reprennent leur quartier et nous nous retrouvons seuls. Quelques externes, venus de Géopolis ou d’Internef², utilisent ponctuellement les lieux mais retournent très rapidement chez eux.

    Nous ne savons pas encore très bien où nous nous trouvons. Nous errons à travers de rampes, d’escaliers, de passerelles : des éléments qui se mélangent et qui brouillent notre orientation.
    Photo interstice, 2049_03_24
    2049_03_28
    Labyrinthe
    Nous descendons pour remonter et montons pour redescendre. Une rampe grimpe, nous l’empruntons. Nous pensons être au rez-de-chaussée supérieur. Des vitrines, des bruits de caisses enregistreuses, des affiches recouvrent les murs. Le plafond est plus bas ici, comme si la gravité s’accentuait. 

    Puis les escaliers, deux en demi-cercle. Nous choisissons l’un d’eux, il nous mène à un palier, puis au niveau supérieur et s’arrêtent brusquement.

    D’ici, deux autres escaliers, centraux et plus monumentaux. L’un en spirale et l’autre en croix, nous choisissons le premier, celui qui nous fait face. Nous comprenons peu à peu que l’escalier est une double hélice. Les deux volées parallèles, qui ne se rencontrent jamais, nous confirment que même les escaliers sont imaginés pour nous désorienter. C’est comme si l’architecture nous refusait les rencontres spontanées³.

    La lumière zénithale située au sommet des escaliers nous entraîne au dernier niveau, le plus lumineux jusqu’ici, les autres étages étant quelque peu sombres. Un immense couloir s’étire; des angles en béton, inclinés à 45° rompent systématiquement la perspective et se déroulent comme l’intérieur d’un squelette⁴.

    L’architecture du lieu ne semble pas conçue pour faciliter nos déplacements. Elle nous perturbe; notre perception de l’espace est biaisée, nos sens sont brouillés.
    Photo escalier, 2049_03_28

    2049_03_28
    Les salles de travail 
    Nous remarquons des modules de travail filant sur toute la périphérie de l’enveloppe. Un couloir étroit sépare une deuxième ceinture de modules, qui se répètent à l’intérieur du plan. Ces derniers sont particulièrement exigus, ne bénéficient d’aucune fenêtre et sont tournés vers l’intérieur. L’extérieur est effacé. Nous nous questionnons sur la viabilité de ces espaces.

    La configuration du plan génère des géométries de salles variables, toutes soumises à une volonté formelle. Comme si l’architecte avait sculpté une idée plutôt que pensé un usage.
    Photo plan, 2049_03_28

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    Rencontre avec un usager
    Nous avons discuté pour la première fois avec un résident.  Comme nous, à son arrivée, il était désorienté. Il avait du mal à se repérer au milieu des couloirs et des numérotations de salles quelque peu complexes. Parfois, il lui arrivait de partir dans la mauvaise direction, comme tout est quasi symétrique ici. Et même après plusieurs années à bord, il lui arrivait encore de se tromper d’escalier. Il le définissait comme « un labyrinthe, sans vraiment en être un, un endroit dans lequel tu es toujours perdu tout en sachant plus ou moins où tu es »⁵.

    Il nous raconte aussi qu’à mesure qu’il avançait dans les couloirs, il constatait la fragmentation répétitive des espaces. Partout, des petites salles. L’aménagement de ces dernières, dicté par la forme globale, plus que par ceux qui y vivent. Il se demandait si la conception des plans n’aurait pas pu être pensée plus simplement et pour les usagers.

    Lorsqu’il parcourait les couloirs, nous dit-il, il sentait constamment la lourde ambiance du lieu s’imposer à lui, sombre et constante. L’espace devait alors être éclairé artificiellement tout au long de la journée, peu importe les saisons.

    À ses mots, nous comprenons que quelque chose l’intriguait ici: L’esthétique⁶ du lieu, qui, malgré le temps restait belle et intacte.
    Photo couloir, 2049_04_02

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    Orientation au sein du lieu
    Cela fait quelques temps que nous voyageons, nous sommes familiarisés avec les lieux. Nous avons nos points de repère, que ce soit la signalétique colorée ou les formes des escaliers. Nous avançons désormais sereinement.

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    Galerie marchande 
    Dans la partie inférieure, quelques commerces y sont installés. On y trouve le nécessaire pour le voyage. L’un des vendeurs nous a expliqué que les choses ont bien changé, et que cela ne fonctionne plus comme à l’époque. Les résidents ne restent plus à bord en permanence et, souvent ils repartent vers d’autres stations environnantes. 

    Tout comme le premier résident que nous avons vu, il raconte son expérience ici, ses premiers souvenirs à bord, et notamment comment il s’est perdu au milieu de ce « labyrinthe »⁷.

    Lui qui est là depuis de longues années déjà, trouve également que le lieu a été pensé d’une drôle de façon, avec beaucoup d’espaces inutilisés, dans lesquels il ne se passe presque rien.
    Photo galeries marchandes, 2049_12_20

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    Machinerie
    Aujourd’hui, nous avons fait la rencontre de la personne qui s’occupe de la machinerie. Il nous a raconté le fonctionnement du lieu. Malgré ses nombreuses années d’utilisation, l’Anthropole a été très bien entretenu. La majorité des pièces sont d’origine et fonctionnent encore. L’éclairage a dû être changé il y a quelques années. Les anciens tubes néon ont été remplacés par un équipement plus optimal⁸. Les prochaines interventions prévues concernent le changement des monoblocs de ventilation. La structure interne n’a subi aucun choc contrairement à sa coque qui, elle connaît quelques infiltrations. En bref, sa mécanique fonctionne bien, mais par sa taille et ses traces du temps, l’objet est particulièrement énergivore⁹.

    Maintenance 
    C’est à ce niveau-là également, que nous avons discuté avec l’homme en charge de l’entretien de la station. Un homme attachant, qui a appris à connaître ce lieu et qui le chérit tant. Avant d’arriver ici, il a fait quelques années ailleurs, et depuis qu’il a posé pied à bord, il n’a jamais souhaité changer d’endroit. Il se sent si bien entre ces murs, qu’il parcourt chaque jour. Ces murs, placardés d’affiches de propagande diverses¹⁰, dont il est seul à devoir se débarrasser.
    Pour que chacun se sente aussi bien que lui, il a décidé d’aménager les interstices inutilisés pour que les résidents puissent y séjourner de manière un peu plus intime et plus tranquille que dans les espaces communs. À sa manière, il prend aussi soin du lieu que des gens qui y vivent.
    Photo affiches, 2049_12_28

    Notes d’observations_
    1. Analyse psycho-spatiale; science du futur basé sur la psychologie de l’espace       pour vérifier l’habitabilité d’un lieu.

    2. Exemple de stations qui gravitent à proximité d’Anthropole.

    3. Sentiment contraire à la volonté des architectes de créer une «machine à échanges», mentionné dans l’ouvrage «du BFSH2 à l’Anthropole»

    4. Observations basées sur les plans de la station.

    5. citation tiré de notre première rencontre avec un usager.

    6. L’Anthropole, immense et labyrinthique, nous évoque une esthétique sublime technologique, sensation de vertiges et de perte de repères.

    7. citation tiré de notre rencontre avec le marchand.

    8. Rénovations mentionnés lors de l’échange avec l’homme en charge de la machinerie.

    9. informations sur la consommation des différents bâtiments de l’UNIL tiré du document «EMPD Centrale de chauffe - UNIL»

    10. Affichage autorisé au deux premiers niveaux de l’Anthropole, débarrassé une fois par semaine par le concierge.
  • Topographie critique des usages : Le Rolex Learning Center, 15 ans plus tard.

    Topographie critique des usages : Le Rolex Learning Center, 15 ans plus tard.

    Pierre-Loïc Carron et Loïc Perrin

    Depuis son ouverture en 2010, le Rolex Learning Center, œuvre emblématique du bureau japonais SANAA, alimente un récit flatteur : celui d’un manifeste spatial libre et visionnaire pour le campus de l’EPFL. Quinze ans plus tard, l’icône est toujours là — mais qu’en est-il de son usage réel ? Plutôt que d’ajouter une lecture formelle de plus, cette critique se place du côté des usagers, de ceux qui arpentent au quotidien ses pentes et ses creux. Les ambitions des architectes résistent-elles à l’épreuve du temps ? Le bâtiment, sous ses courbes parfaites, révèle-t-il des fragilités ou des qualités inattendues? C’est à travers sa topographie vécue que nous avons tenté de répondre.

    Entrée du Rolex Learning Center, photographie © Pierre-Loïc Carron, 2025

    Le Rolex Learning Center est l’œuvre du bureau d’architecture japonais SANAA, fondé par Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa. Lauréats du Pritzker Prize en 2010, les deux architectes ont construit une œuvre marquée par la continuité des plans, la transparence, la légèreté, et une volonté constante d’éviter les hiérarchies spatiales. La même année, Kazuyo Sejima était commissaire de la 12è Biennale d’architecture de Venise, placée sous le titre People meet in Architecture[1]. Cette édition, marquante, posait les bases d’une architecture conçue comme champ de relations plutôt que comme objet figé — un espace où les corps se croisent, cohabitent, improvisent dans de larges espaces ouverts. Le Rolex Learning Center, inauguré à Lausanne cette même année, peut être lu comme une traduction concrète de cette position théorique.

    Situé au cœur du campus de l’EPFL, le bâtiment n’est pas une bibliothèque au sens classique, mais un paysage construit : un vaste plan continu, sans cloisonnement, qui se déploie en vagues successives, percées de patios, de seuils flous. Le sol y est en pente constante, sans angle droit, appelant à la déambulation autant qu’au repos. On y trouve une médiathèque, des espaces de travail, des lieux de rencontre, un café — mais la programmation, diluée dans un espace sans séparation, laisse place à l’invention.

    Photographie argentique © Pierre-Loïc Carron

    Espace de travail Rolex Learning Center, photographie © Pierre-Loïc Carron, 2025

    Cette ouverture formelle se traduit dans les usages. Lors de notre visite sur place, nous avons pu observer une grande variété de pratiques, certaines attendues, d’autres plus inattendues : des étudiants y travaillent, dorment, déjeunent sur les pentes. Des sans-abris y passent parfois la nuit. Ces usages hybrides, non prescrits, révèlent la porosité du Rolex Learning Center — sa capacité à accueillir sans filtrer, à être investi sans mode d’emploi.

    Le premier constat est paradoxal : malgré ses volumes généreux, le bâtiment offre une capacité de travail insuffisante, surtout lors des périodes de révision. « Si on n’arrive pas super tôt, on est sûr de ne pas avoir de place », note une étudiante[2]. En parallèle, de vastes zones restent sous-utilisées, faute d’aménagement, d’accès à l’électricité ou de signalisation claire. Le bibliothécaire précise que « les livres peuvent uniquement être placés sur les zones planes », ce qui limite la densité des rayonnages et concentre les usages dans quelques zones. Le transport des chariots se complique aussi à cause des pentes, les ascenseurs étant « peu visibles ou mal adaptés »[3]. Autrement dit, l’esthétique continue du sol devient une entrave logistique.

    Cette contrainte se retrouve ailleurs. Le choix initial d’un sol en béton ciré a été abandonné au profit de la moquette, plus absorbante : un geste acoustique révélateur. Le bâtiment a dû être corrigé pour répondre à son propre écho. Cette nécessité d’ajustement se retrouve à une autre échelle : dans sa gestion quotidienne. Le responsable concierge parle d’un « très gros bateau », difficile à manœuvrer[4]. La forme fluide, la surface continue, la multiplicité des usages imposent une organisation et une maintenance lourdes, révélant les limites pratiques d’un bâtiment pensé comme paysage.

    Photographie argentique © Pierre-Loïc Carron

    Entrée du Rolex Learning Center, photographie © Pierre-Loïc Carron, 2025

    Pourtant, malgré ces contraintes, le Rolex Learning Center continue d’exercer une forme de fascination. Sa topographie douce, ses pentes continues, sa lumière diffuse composent un paysage intérieur unique. Des étudiants y trouvent une liberté rare : « on peut s’y asseoir n’importe où, même se coucher dans les pentes, c’est agréable », rapporte une usagère[5]. Le bâtiment permet une appropriation souple, hors des cadres traditionnels de la bibliothèque universitaire. On y travaille, on s’y repose, on y discute, parfois on y mange. Cette liberté d’usage, même si elle désoriente certains, constitue l’un de ses atouts les plus durables.

    Mais cette liberté a un prix : elle exige des ajustements. À défaut d’intervenir sur l’architecture elle-même, il serait possible d’améliorer l’usage par des dispositifs légers. Le bibliothécaire évoque la possibilité d’aménager certaines pentes sous forme de terrasses, d’y ajouter des prises électriques, et de renforcer la signalétique pour fluidifier les parcours[6]. Le concierge, quant à lui, souligne les effets secondaires d’un bâtiment pensé comme une œuvre continue : il fonctionne, mais au prix d’un effort logistique constant[7]. En somme, il ne s’agit pas de corriger le Rolex, mais de le soigner — comme on entretient un grand jardin public.

    Peut-être est-ce là le véritable enjeu d’un tel bâtiment : ne pas le figer dans une image iconique, mais l’accepter comme un espace vivant, traversé, éprouvé, modifié. Le Rolex Learning Center ne demande pas d’être préservé, mais accompagné. Ce n’est pas une forme à contempler, mais un milieu à habiter. Sa topographie, comme ses usages, appelle une lecture continue, une critique active, une attention partagée. C’est à cette condition qu’il pourra continuer à incarner ce qu’il prétend être : un lieu d’apprentissage — et d’expérience.

    [1] Sejima, K., & Nishizawa, R. (2010). People meet in architecture. 12th International Architecture Exhibition. Venise : La Biennale di Venezia.

    [2]  Entretien avec une usagère du Rolex Learning Center, avril 2025.

    [3]  Entretien du bibliothécaire du Rolex Learning Center, avril 2025.

    [4] Entretien avec le responsable concierge du Rolex Learning Center, avril 2025.

    [5] Entretien avec une usagère du Rolex Learning Center, avril 2025.

    [6] Entretien du bibliothécaire du Rolex Learning Center, avril 2025.

    [7] Entretien avec le responsable concierge du Rolex Learning Center, avril 2025.

  • Campus RTS : édifice transparent au service de l’information

    Campus RTS : édifice transparent au service de l’information

    Après une décennie de projet et de réalisation tout en intégrant plusieurs étapes majeures de transformation, le nouveau campus de la RTS touche bientôt à sa fin. 

    La SSR (Société suisse de radiodiffusion et télévision) lance en 2014 une procédure de mandats d’étude parallèles pour la construction du futur édifice du grand média public suisse de la RTS. Le bâtiment est situé au cœur du campus UNIL-EPFL, à l’est du Rolex Learning Center. 

    Désigné lauréat en 2015, le bureau belge Kersten Geers David Van Severen (KGDVS) est responsable du projet. Deux années plus tard, le projet se gèle complètement suite à l’initiative No Billag1 qui remet directement en cause la mission du média public. 

    A la suite d’une redéfinition stratégique de la SSR et de nouvelles priorisations, le projet du campus reprend vie et on observe des modifications au projet. Les mots d’ordre maintenus  sont transparence et flexibilité.  Effectivement, le projet prend une grande importance sur le désir d’ouvrir le bâtiment et d’accueillir le public. Comment ce discours se retranscrit-il architecturalement au sein du chantier, ouvert en 2020 et qui se terminera en 2026?

    DU SAVOIR À L’ÉCRAN : LA RENCONTRE ENTRE ÉDUCATION ET INFORMATION

    © Office Kersten Geers David Van Severen (KGDVS)

    Au moment du lancement du mandat d’étude parallèle, Gilles Marchand, ancien directeur de la RTS, et Patrick Aebischer, ancien président de l’EPFL, exposent leur intention de faire du nouveau campus RTS un bâtiment pluridisciplinaire, incarnant l’idée de mettre le savoir au service du public.

    L’emplacement stratégique du campus RTS, à proximité de l’UNIL et de l’EPFL, permet une collaboration bénéfique entre les domaines scientifiques et les médias. La recherche universitaire est implantée au sein d’une plateforme médiatique. Selon Marc Bueler2, “Il y a le savoir et l’enseignement du côté de l’EPFL et de l’UNIL. Et nous, finalement, dans les médias, on est un partenaire pour raconter des histoires, porter ce savoir, et être aussi challengé.” Ce choix s’inscrit dans une démarche “visionnaire”, où l’interaction avec le milieu académique devient un pilier du média moderne : aujourd’hui, la question du fact-checking est au cœur de la diffusion d’informations. ”On n’est pas juste des porte-parole […], mais on devient un acteur de relais pour toute cette complexité sociétale.” ajoute Marc Bueler.

    Cette collaboration est réfléchie non seulement pour les contenus produits, mais aussi pour les formats et les modes de diffusion. Par exemple, l’Initiative for Media Innovation (IMI), un laboratoire commun entre l’EPFL et la RTS, se consacre à l’intégration de technologies de pointe dans le journalisme. Cette proximité permet à la RTS de s’adapter plus rapidement aux évolutions technologiques, tout en offrant aux étudiants un espace d’apprentissage au cœur même de la production médiatique.

    TRANSPARENCE ARCHITECTURALE ET MÉDIATIQUE

    © Office Kersten Geers David Van Severen (KGDVS)

    Dès la procédure de MEP du Campus RTS, la transparence est un pilier fondamental du projet, autant dans son concept architectural que dans sa valeur sociétale. Elle s’inscrit dans une volonté de rendre visible le processus de création médiatique. Marc Bueler nous dit :  “Après, il y a aussi une symbolique, la transparence fait partie du service public, de donner de la visibilité à nos activités. Ça commence par le foyer, et d’exposer ce qu’on fait. Le média n’est plus un élément où on fait les choses en coulisses, où on est un petit peu replié sur soi-même. On a un devoir d’ouverture, de transparence.” 

    Au rez-de-chaussée du bâtiment se trouve un vaste espace vitré, conçu pour accueillir le public de manière attractive. Cette esplanade intérieure, baignée de lumière naturelle, est le point de rencontre central entre la RTS et ses visiteurs. L’espace est pensé pour permettre aux invités de découvrir les coulisses de la production médiatique en direct, sans barrières physiques ni symboliques. Effectivement, on peut observer les activités au sein des studios et régies vitrés, directement connectés au foyer. Les plateaux de tournage, qui sont des boîtes fermées, sont également accessibles à travers des sas.À l’étage, le “Champ” représente un espace de travail innovant et totalement ouvert. Ce vaste plateau, dépourvu de cloisons rigides, est pensé pour optimiser la collaboration des usagers et la circulation des idées. Marc Bueler décrit cet espace comme un lieu de “visibilité au travail”, permettant une interaction constante entre les différentes équipes.

    L’ARCHITECTURE AU SERVICE DE L’ÉVOLUTION DES MÉDIAS

    © Office Kersten Geers David Van Severen (KGDVS)

    Le bâtiment de la RTS ne se contente pas d’héberger des bureaux ou des studios, il a été pensé comme un outil de travail évolutif, capable de s’adapter aux changements constants du monde des médias. Marc Bueler explique même que “Le bâtiment est capable de répondre aux demandes et aux évolutions constantes des modes de production, c’est une qualité que le projet a su relever”. De l’organisation spatiale jusqu’à l’infrastructure technique, tout a été conçu pour permettre des reconfigurations rapides, anticiper les changements de formats, d’équipes ou de technologies.

    Autour des noyaux de circulation des quatre émergences, les architectes ont imaginé des espaces libres, facilement modulables. Antonios Prokos3 cite : “Un des thèmes forts du projet, c’est la flexibilité et la transformation. Le projet a changé de fond en comble plusieurs fois.” Des studios peuvent être agrandis en supprimant des cloisons, ou divisés pour accueillir plusieurs petites unités. Lors de la visite de chantier, Antonios Prokos nous montre des studios presque finalisés où le matériel est si coûteux que déplacer les cloisons étaient en effet moins onéreux que de changer l’équipement médiatique. 

    À la suite de l’initiative No Billag et de diverses séquences de repriorisations stratégiques de la SSR, qui a fortement secoué la SSR, le projet a été modifié et a subi des ajustements majeurs, notamment avec l’intégration du pôle Actualité. Des mezzanines ont été ajoutées, les affectations ont été révisées, et certaines zones ont été reconverties, parfois même en pleine construction. Même le “Tarmac”, situé au rez-de-chaussée et destiné à accueillir les camions de production, est conçu de manière à pouvoir être converti un jour en studios ou en bureaux.


    L’approche d’ouverture conçue dans ce projet du campus RTS répond, selon nous, intelligemment aux désirs de représentation des valeurs du média. Cependant, ce concept de visibilité, très présent dans le projet, peut soulever certaines questions. Les collaborateurs.trices du “Champ” seront-ils pleinement satisfaits d’un open space aux places volantes ou demanderont-ils des cloisons supplémentaires ? Marc Bueler souligne : “C’est un vrai défi pour l’entreprise et nos organisations que de travailler dans des espaces de travail dynamiques. Chacun.e trouvera son port d’attache avec sa rédaction et ses collègues, c’est prévu. Mais c’est vrai que c’est un changement qu’il faut préparer et accompagner. C’est ce que nous faisons en ce moment avec des zones « tests » dans nos bâtiments actuels à Genève et Lausanne. Au final, nous sommes certains que cela favorisera les échanges et la collaboration des équipes et au final nos contenus pour le public”. Cependant, le principe de visibilité du travail cité par Marc Bueler n’induirait-il pas un possible manque d’intimité pour les travailleurs ? Seul le temps et l’usage des travailleurs nous le dira.

    Notes
    [1] Initiative populaire « Oui à la suppression des redevances radio et télévision (suppression des redevances Billag) » rejetée en votation populaire le 4 mars 2018
    https://www.rts.ch/info/suisse/9167284-linitiative-no-billag-sur-la-fin-de-la-redevance-soumise-en-votation.html

    [2] Entretien datant du vendredi 16 mai avec Marc Bueler, un ancien journaliste, chef de projet global pour le Campus RTS depuis 2017

    [3]  Visite du chantier datant du vendredi 2 mai avec Antonios Prokos, architecte et chef du projet Campus RTS chez Office KGDVS

  • Écoquartiers : une écologie de façade ?

    Écoquartiers : une écologie de façade ?

    Le nouveau quartier en Dorigny se présente comme un “écoquartier“, durable et innovant. Mais quels critères se cachent réellement derrière ce terme?

    Mickael Grosso et Sylvain Jaquenoud

    Vue de la place pricnipale du quartier et du futur restaurant, © Sylvain Jaquenoud

    Le quartier de Dorigny, anciennement appelé quartier Horizon, est l’un des plus grands projets d’aménagement entrepris ces dernières années dans la région. Initialement conçu autour d’un simple centre commercial, le site n’exploitait pas pleinement son potentiel stratégique au cœur de la commune de Chavannes-près-Renens. Pour répondre aux enjeux de développement, un concours d’architecture a été lancé afin d’élaborer un Masterplan pour un quartier à affectations mixtes, combinant logements, commerces et bureaux. Le bureau bernois Rudolf Rast a remporté ce concours avec un projet ambitieux intégrant notamment une tour de 60 mètres, pensée comme un repère visuel fort et une porte d’entrée symbolique à la ville. Cependant, cette tour emblématique n’a finalement jamais vu le jour, en raison de contraintes techniques, économiques et politiques1. Le projet a été adapté, conservant l’idée d’un quartier vivant et multifonctionnel, mais sans cet élément vertical qui devait initialement le marquer.

    Parler de ce projet peut sembler intimidant, la taille du projet et son nombre d’intervenants n’aide pas à trouver le bon angle à questionner ou critiquer. Pourtant, les questionnements ne manquent pas lors de la visite sur place. Pourquoi une telle densité bâtie, pourquoi les matériaux en façade sont si différents, quelles qualités ont les appartements, etc. Les discussions avec le bureau d’architecture, la société immobilière et l’entreprise gérant l’exploitation n’ont pas soulevées de réelles problématiques. Tout le monde a l’air satisfait de ce projet et même une discussion avec un habitant confirme cet avis.

    Pourtant quelques sujets peuvent être intéressants à approfondir. L’autoroute qui borde le quartier est une réelle problématique qui dépasse même l’échelle de ce quartier2. Ce tronçon est une épine pour le développement des projets aux alentours et scinde actuellement le site en deux. La passerelle qui devrait se construire prochainement (elle aussi pourrait être un sujet de discussion tant elle pose problème) résout partiellement cette scission. Les discussions autour de cette autoroute tournent en rond et l’idée de remplacer cette voie rapide par une route cantonale à deux vois ou même une voie à mobilité douce semble être pour l’instant une utopie. L’autoroute est la propriété de la confédération et le prix à payer pour ces travaux retient ces changements. On connaît la longueur et la difficulté de ce genre de discussions et le projet du quartier en Dorigny a du assumer la proximité avec une voie rapide. Des barres de logements servent de mur anti-bruit pour le reste du quartier, ce qui affirme durablement ce tronçon d’autoroute. Mais peut-on en vouloir aux acteurs de ce projet de l’avoir réaliser ainsi ?

    Un autre sujet semblait plus intéressant à traiter, les écoquartiers. On entend ce terme depuis bien des années pour les nouveaux quartiers sans trop questionner son utilisation, certainement abu- sive. Il est peut-être légitime de remettre en question les critères liés au certificats comme Minergie ou autres. Peut-on réellement qualifier de «durable» un quartier construit sur un immense parking souterrain couvrant toute la parcelle, nécessitant une consommation massive de béton, l’un des matériaux les plus énergivores et émetteurs de CO2 ?L’utilisation de technologies performantes pour l’exploitation énergétique, même basées sur des énergies renouvelables, suffit-elle à com- penser l’impact environnemental initial très lourd lié à la construction ?

    Des critères pertinents ?

    Sur site, le quartier en Dorigny (anciennement quartier Horizon) présenté comme un écoquartier novateur semble peu « écologique ». Le complexe est construit sur un immense parking couvrant la quasi totalité de la parcelle. Les beaux parterres arborés des différents espaces extérieurs peuvent faire oublier ce monde souterrain mais les entrées parking et les différentes bouches d’aération nous rattrape vite. Le terme écoquartier n’étant pas protéger en Suisse, il serait intéressant de vérifier si l’utilisation de ce nom n’est pas abusive. En France le gouvernement a créer une liste de 20 critères3 à respecter pour obtenir le label écoquartier. Cette liste peut donner une idée et des arguments pour juger ce projet.

    image aérienne des travaux importants de terrassement, © Orllati

    Sobriété

    Sur le plan de la sobriété, le projet affiche un bilan mitigé. Dès la phase de chantier, l’ensemble de la parcelle a été terrassé, supprimant presque toute surface de pleine terre au profit notamment d’un vaste parking souterrain. Cette artificialisation nuit à la biodiversité et au fonctionnement écologique du sol. Toutefois, cet impact est à nuancer : avec environ 3 000 habitants attendus, le quartier atteint une forte densité qui limite l’étalement urbain et optimise l’usage du foncier — un point en faveur d’une sobriété territoriale.

    En revanche, la construction elle-même manque clairement de sobriété matérielle. Les bâtiments sont intégralement réalisés en béton coulé sur place, sans recours à des matériaux biosourcés, géosourcés ou issus du réemploi, à l’exception d’un bâtiment doté de façades en bois. Ce choix accentue l’empreinte carbone du projet.

    Du côté de l’exploitation, les performances sont plus convaincantes. Les bâtiments répondent aux normes actuelles et, selon le label Greenproperty, atteignent un niveau équivalent à Minergie. Les toitures végétalisées et les panneaux photovoltaïques contribuent à une certaine autonomie éner- gétique, renforcée par un système de gestion intelligente de l’énergie.

    Mais est-ce assez pour parler d’écoquartier ?

    Inclusion

    Le quartier comprend près de 900 logements, avec une diversité de typologies allant du studio au 5,5 pièces, ce qui permet de répondre aux besoins d’une population variée en termes de composition familiale. Cette mixité de formats est un point positif en faveur de l’inclusion. Cependant, aucune mesure spécifique n’a été mise en place pour proposer des logements protégés, adaptés aux personnes âgées ou en situation de handicap, ni de logements en cluster, qui pourraient favoriser des modes d’habitat plus collaboratifs ou intergénérationnels. L’approche reste donc convention- nelle, sans innovation notable en matière d’habitat inclusif.

    Quant aux typologies en elles même, ces dernières, tout comme le projet en globalité finalement, souffle le froid et le chaud. Certaine typologie traversante, offre une qualité spatiale et lumineuse, spécialement pour les appartements situés le long de l’autoroute. Ceux-ci sont caractérisé par un patio central autour duquel s’organise les appartements, permettant une certaine privacité. D’un autre côté, d’autres typologies, mono-orientées, n’offres que très peu de luminosité et que dire de la qualité spatiale. Ces dernières sont mal orientées, avec souvent une ouverture qui se fait uniquement sur patio ou sour cour.

    schéma montrant la différence de typologie et de qualité dans un volume similaire, © Mickael Grosso

    Sur le plan économique, les loyers pratiqués semblent se situer dans la moyenne du marché, per- mettant à une diversité de classes sociales d’accéder aux logements. Cette accessibilité relative contribue à une certaine mixité socio-économique, même si elle n’est pas activement favorisée par des mécanismes comme des logements subventionnés ou des quotas sociaux.

    Les logements eux-mêmes sont pensés pour répondre à des attentes classiques : fonctionnels, sans excès. Les premiers retours d’habitants indiquent un bon accueil de cette simplicité, malgré la présence de dispositifs domotiques relativement avancés, qui, dans les faits, semblent peu utilisés, perçus par certains comme des gadgets plus que de réels leviers d’inclusion ou de confort4.

    En résumé, le quartier propose une offre relativement accessible et variée, mais reste dans un modèle standard, sans intégrer de véritables leviers pour favoriser une inclusion plus large qu’elle soit sociale, générationnelle ou fonctionnelle.

    Mais est-ce assez pour parler d’écoquartier ?

    Création de valeurs

    Pour les critères représentant la création de valeur, le projet atteint pleinement les objectifs. Le quartier est conçu de manière à offrir tous les services et commerces nécessaires à la vie quoti- dienne des habitants. La densité bâtie est également plus que respectée, critère discutable si on parle de qualité de vie. Le taux de cyclabilité est également un critère et lui aussi est plus qu’atteint mais à quel prix. Les cyclistes et piétons sont rois dans le quartier car les automobiles sont aux sous-sols, grâce à l’immense parking souterrain. Quand on sait le prix énergétique de l’excavation en situation urbaine ou périurbaine, les moyens mis en place pour ce critère sont discutables. La proximité avec les transports publics, que ce soit le métro ou le bus offre une qualité de vie supplé- mentaire et une alternative à la voiture individuelle

    Mais est-ce assez pour parler d’écoquartier ?

    photo aérienne du site en cours d’achèvement, © Photodrone.pro, Pedro Gutiérrez

    Résilience

    Le premier point à relever concerne la part du quartier impacté par des nuisances sonores. Pour ce projet, le bruit est un facteur important et le plan de site a été réfléchi pour atténuer les nuisances liées à l’autoroute. Les barres de logements fonctionnent comme mur anti-bruit pour le reste du quartier. Le deuxième parle du coefficient de pleine terre et de biotope par surface.

    L’écoquartier analysé est assis sur un parking souterrain, le coefficient est donc limité. La terre se trouvant sur une dalle en béton est limitée niveau épaisseur et la qualité de la surface en dépend. Le dernier point à relever serait la surface d’espaces vert par habitants. Là où la densité était positive dans un critère précédent, elle joue un rôle négatif pour celui-ci.

    Mais est-ce assez pour parler d’écoquartier ?


    Marly comme exemple de labellisation

    L’écoquartier de l’ancienne papeterie est le premier éco quartier certifié SEED du canton de Fribourg. Mais que siginfient ces labels?

    image du nouveau quartier, © ecoquartier-marly

    L’éco-quartier de l’Ancienne Papeterie à Marly, près de Fribourg, est un projet urbain durable certifié SEED et One Planet Living. Développé sur plus de 13 hectares, il accueillera environ 1 000 logements pour 2 300 à 2 500 habitants d’ici fin 2026. Ce quartier allie mixité sociale (étudiants, familles, seniors), commerces, services (crèche, piscine, cabinets médicaux), espaces partagés (potagers, maison de quartier) et mobilité douce (bus fréquents, abonnements offerts, car-sharing électrique, vélos en libre-service). Conçu en trois phases, il met l’accent sur la qualité de vie, la proximité, et le respect de l’environnement grâce à des bâtiments basse consommation, une gestion durable des déchets et la protection de la biodiversité.

    Les différents labels pour des écoquartiers

    En Suisse, plusieurs labels encadrent la conception d’écoquartiers, chacun avec ses priorités. SEED est un label national centré sur la durabilité globale (environnementale, sociale et économique) avec une forte dimension participative. One Planet Living, soutenu par le WWF, propose une approche internationale basée sur 10 principes de durabilité, souvent complémentaire aux autres labels. SNBS Quartiers, développé par la Confédération, offre une évaluation systémique et standardisée des projets, intégrant gouvernance, mobilité et qualité de vie. Minergie-Areal se concentre principalement sur l’efficacité énergétique et le confort des bâtiments à l’échelle du quartier. Enfin, le label 2000-Watt-Site vise à réduire drastiquement la consommation énergétique et les émissions carbone, en ligne avec les objectifs climatiques suisses.

    Le label concerné par le quartier en Dorigny est le green property. Ce dernier est lié au maître d’ouvrage privé, ce qui permet de le décerner sans intervention d’un expert externe contrairement au labels cités précédemment.

    Conclusion

    Le projet de Dorigny, à Chavannes-près-Renens, illustre bien les tensions entre ambitions durables et réalités de la production urbaine contemporaine. Présenté comme un « écoquartier », il en reprend certains codes : densité maîtrisée, mixité fonctionnelle, bonne accessibilité aux transports publics, espaces extérieurs végétalisés et gestion énergétique performante. Sur ces points, le projet semble répondre aux attentes d’un urbanisme contemporain, compact et orienté vers la mobilité douce.

    Mais à y regarder de plus près, cette labellisation reste largement discutable. La construction repose massivement sur le béton, notamment en raison d’un parking souterrain couvrant l’ensemble de la parcelle, en contradiction avec les principes de sobriété et de préservation du sol. L’inclusion sociale et fonctionnelle est limitée, malgré une certaine diversité de typologies. Et la qualité écologique des aménagements extérieurs est fortement réduite par l’absence de pleine terre.

    Le terme « écoquartier », non protégé en Suisse, est ici utilisé de manière discutable, davantage comme outil de communication et de commercialisation que comme garantie de qualité environnementale. Dorigny est un quartier fonctionnel, dense, bien desservi, mais qui soulève la question suivante : peut-on se revendiquer « écologique » en misant sur des performances techniques, tout en négligeant les fondements mêmes de la sobriété, de l’inclusion et de la résilience ?

    À travers ce projet, c’est toute la nécessité d’une définition plus rigoureuse et plus ambitieuse des écoquartiers en Suisse qui se dessine.

    Notes
    __________________________________________________________

    1. entretien avec le bureau d’architectes Pezzoli & associés, 10.04.25 ↩︎
    2. article du 24heures, “Zizanie dans un projet autoroutier à 1,2 milliard“, Chloé Din ↩︎
    3. “Les 20 indicateurs nationnaux Écoquartiers“, ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, 2024 ↩︎
    4. entretien avec un habitant du quartier, 24.04.25 ↩︎

  • Le Géopolis

    Le Géopolis

    Une architecture entre rigueur environnementale et inconfort usager.

    Fabio Pozza Pena et Laura Michalak

    Implanté dans le quartier de la Mouline, au Nord du Campus Universitaire de Lausanne (UNIL), le bâtiment Geopolis, longeant l’autoroute E23, marque l’entrée de l’agglomération Lausannoise. Inauguré en octobre 2013, après trois ans de chantier, il ouvre ses portes aux facultés des géosciences et de l’environnement (GSE) mais aussi aux sciences sociales et politiques (SSP).

     Vue du bâtiment depuis la sortie du M1 de l’arrêt Mouline, © Laura Michalak

    Ses débuts mouvementés

    Né d’un concours lancé en 2008, le projet Géopolis a été confié aux architectes Robin Kirschke, du puissant bureau Itten Brechbühl SA, et Marc Werren, de GWJ Architectes SA à Berne. Avec une force de frappe de 400 collaborateurs, Itten Brechbühl dispose d’une structure imposante qui lui permet de répondre à des projets d’envergure. 

    À l’origine, il était question de faire une transformation de l’ancienne usine Leu, une entreprise de meubles rembourrés fondée en 1964. Constituée d’une équipe de 58 personnes, l’entreprise va cesser son activité pour cause de difficultés économiques, en 2004. A la fin de cette même année, l’Etat de Vaud se procure la parcelle dans le but de répondre au besoin croissant de l’expansion du campus universitaire de Lausanne1.  A l’origine, il était question de travailler avec le bâtiment existant mais les contraintes techniques et structurelles ont finalement mené à la démolition totale du bâtiment2. Les architectes ont néanmoins tenu à conserver certains éléments tels que la volumétrie ou l’apport de lumière naturelle. Mais le choix de reconstruire sur les anciens gabarits de l’usine n’a t’il pas finalement reporté des contraintes typologiques sur l’ouvrage actuel?

    Implantation de l’ancienne usine Leu, ©UNIL

    Si le bâtiment Géopolis affiche aujourd’hui une certaine stabilité, ses débuts ont été nettement plus chaotiques. Le projet a été réalisé dans le cadre d’un contrat d’entreprise total, sélectionné sur concours, prévoyait un prix forfaitaire couvrant l’intégralité des prestations. Cependant, alors que 98 % des travaux étaient réalisés, l’entreprise Baumag, responsable de la construction, dépose le bilan. Cet événement laisse les entreprises et sous-traitants impayés pour la finalisation des travaux. C’est donc l’Etat, garant du projet,  qui devra débloquer un crédit supplémentaire de 12 millions de francs pour les travaux impayés et pour le reste des travaux. La faillite de Baumag est arrivée en 2012 et le décompte final de la subvention fédérale à été versé en 20173.

    Des vides qui structurent l’espace

    La véritable force du bâtiment réside dans ses quatre grands patios, qui inondent l’intérieur de lumière naturelle et créent des espaces intéressants, en dépit de proportions souvent étroites. Leur grande hauteur, presque monumentale, impressionne dès le premier regard. L’organisation du bâtiment s’articule autour de ces patios : les circulations les longent, tandis que les salles de classe et les bureaux s’ouvrent soit sur l’extérieur, soit sur ces cours intérieures sans vue sur l’extérieur.

    Plan étage type, ©Itten+Brechbühl AG

    Coupe transversale, ©Itten+Brechbühl AG

    Vue sur l’atrium de la bibliothèque depuis le 1er étage, © Laura Michalak

    Plafond au-dessus de l’atrium rythmé par des brises soleil, © Laura Michalak

    Entre lumière et vis à vis

    Le thème du regard, ou de la vue, s’impose de manière singulière lorsqu’on évoque l’intérieur du bâtiment. Se tenir dans l’un des atriums laisse une impression ambivalente: on est d’abord frappé par la lumière naturelle qui y circule généreusement, essentielle pour les bureaux situés au cœur de la structure. Mais en même temps, cette transparence totale engendre un certain malaise, comme si on se trouvait dans une cour intérieure en prison ou au centre d’un aquarium, exposé à tous les regards des étages supérieurs.

    Cette sensation est particulièrement marquante dans la bibliothèque. L’aménagement actuel donne l’impression que les postes de travail ont été installés par défaut, faute d’espace commun généreux pour travailler. On perçoit que l’atrium n’a pas été pensé initialement pour étudier, ce qui renforce le sentiment d’un lieu à la fois ouvert et oppressant.

    Couloir entre les bureaux donnant sur l’extérieur et les bureaux donnant sur l’atrium, © Laura Michalak

    Dans l’atrium jumelé à la bibliothèque, aménagé en espace de travail, © Laura Michalak

    Le pari écologique

    Le Géopolis étant un des bâtiments les plus récents du site de L’UNIL, il s’inscrit également  dans la démarche “Campus Plus » qui tend à réduire l’impact environnemental des activités universitaires. Mais est-ce vraiment le cas, arrive-il à répondre à sa fonction et aux enjeux écologiques ? Les avis divergent. 

    Avec ses 20’000 m2 de surface utile, le bâtiment remplit globalement le cahier des charges sur le plan fonctionnel. Toutefois, certains choix techniques, notamment en matière de domotique, suscitent des critiques. L’impossibilité d’ouvrir les fenêtres dans certaines salles d’étude, souvent bondées en période d’examens, rend l’atmosphère parfois étouffante et désagréable. Faute de pouvoir aérer naturellement, les étudiants se voient contraints de laisser les portes ouvertes; un compromis qui sacrifie le calme au profit d’un minimum de confort.

    « Nous avons le choix entre les bruits de couloirs ou les odeurs de renfermé », résume un étudiant, visiblement partagé entre le besoin de concentration et celui de respirer.

    Lors d’un entretien mené par Nadja Maillard, Guido Cocchi, architecte en chef du plan directeur de l’Université de Lausanne à Dorigny, évoque avec une pointe d’humour l’évolution des bâtiments universitaires. Il établit une métaphore saisissante :

    « Les premiers bâtiments de l’Université étaient comme des tasses, alors que le Géopolis sera une bouteille thermos. » Une image parlante pour illustrer les enjeux énergétiques propres à chaque époque.

    Esquisse de Guido Cocchi illustrant les anciens bâtiments de l’unil sous forme de tasses et le Géopolis sous forme d’un thermos.

    Les premières constructions de l’UNIL souffraient en effet de problèmes importants de déperdition thermique, tandis que le bâtiment Géopolis, conçu selon les standards du label MINERGIE-ECO, vise une performance énergétique optimale. Le bâtiment intègre des solutions durables comme une pompe à chaleur utilisant l’eau du Lac Léman et une ventilation à double flux avec récupération de chaleur4. L’enveloppe, elle,  est pensée comme un système fermé, étanche, isolé. Ce qui déplait globalement aux étudiants avec qui nous avons pu discuter.

    L’efficacité au profit du confort ?

    La question de la fenêtre, en architecture, est loin d’être anecdotique. Historiquement, les ouvertures étaient réduites au minimum pour se prémunir des variations climatiques. Aujourd’hui, les avancées technologiques dans le domaine du vitrage permettent de concevoir de larges baies, favorisant l’apport de lumière naturelle, ce qui engendre à son tour la nécessité de dispositifs de protection solaire. C’est précisément l’un des paradoxes du Géopolis : malgré ses généreuses surfaces vitrées, le bâtiment abrite de nombreuses salles de travail, laboratoires et bureaux où l’exposition solaire pose problème. L’accès aux commandes des stores n’étant pas possible depuis les postes de travail, les utilisateurs se retrouvent souvent dans l’impossibilité de réguler l’ensoleillement, ce qui nuit au confort intérieur.

    L’évolution du langage architectural est normale et souhaitable, notamment sous l’impulsion des nouvelles exigences écologiques auxquelles les architectes doivent répondre. Cependant, la façade du Géopolis, conçue comme un habillage uniforme alternant vitrages et panneaux en aluminium et d’acier inox, sur l’ensemble de ses faces, semble faire abstraction des différences d’orientation et de contexte propres à chaque façade. Cette homogénéité questionne : peut-on vraiment répondre à des contraintes aussi diverses avec une solution unique ?

    Sa relation au site

    En ce qui concerne les espaces extérieurs, la transition entre l’extérieur et l’intérieur se fait avec l’absence de seuil d’entrée. En quelques mètres seulement, on passe de la route à l’entrée principale, sans véritable transition. L’espace extérieur, largement minéral et exposé, peine à établir un dialogue avec l’intérieur. On se retrouve rapidement pris en étau entre une façade imposante, lisse et peu expressive, et une route. Ce choix contraste fortement avec le reste du campus de l’UNIL, où les bâtiments s’intègrent de manière plus douce et paysagère à leur environnement. Cela donne l’impression d’un bâtiment objet autonome qui ne dialogue presque pas avec son entourage. La connexion entre la cafétéria et sa terrasse manque de clarté car les portes qui sont censées faire le lien sont fermées, cela oblige les étudiants à sortir avec leur plateau par l’entrée principale pour accéder à la terrasse, ce qui nuit à l’usage spontané de cet espace.

    Maintenance de la toiture, © Laura Michalak

    Par ailleurs, Éric Larré, technicien du bâtiment, explique que peu de personnes utilisent les extérieurs comme lieu de travail. En cause : les reflets générés par la façade vitrée rendent difficile l’utilisation d’un ordinateur portable en plein jour. Il attire également l’attention sur un risque méconnu mais réel : en raison de la nature réfléchissante du matériau de façade, laisser un sac trop près (à moins de 30 cm) peut entraîner une surchauffe due à la concentration des rayons solaires. Ce phénomène a déjà provoqué la fissure d’un vitrage, comme l’a constaté M. Lauré lui-même.

    Conclusion

    Dernier-né du campus de l’UNIL, le bâtiment Géopolis s’impose par son gabarit, sa rigueur programmatique et son ambition environnementale. Mais il ne laisse personne indifférent. Si certains saluent ses qualités fonctionnelles, sa lisibilité spatiale et son autonomie sur le site, d’autres critiquent une architecture froide, déconnectée de son contexte paysager, où le climat intérieur manque de confort. Ces contrastes soulèvent une question plus large : qu’attend-on réellement d’une architecture universitaire aujourd’hui ? La priorité doit-elle être donnée à la performance énergétique, à la rationalité fonctionnelle, ou au confort quotidien des étudiants et des chercheurs ? Ou bien à un équilibre subtil entre tous ces éléments ? En ce sens, le Géopolis suscite le débat, et incarne à sa manière les tensions  entre efficacité, durabilité et qualité d’usage.

    Notes

    1.Géopolis, un nouveau bâtiment pour l’UNIL

    2.Le projet Géopolis présenté par ses architectes

    3.Etat de Vaud, rapport de la commission, octroi crédit supplémentaire

    4.Planair,Bâtiment Géopolis à Lausanne

  • Ceci n’est pas une place.

    Ceci n’est pas une place.

    Au début des années 2000, L’EPFL projette de créer une place au centre du campus, qui prendra plus tard le nom de Place Cosandey. Mais qu’entend-on par le mot ‘‘place’’?


    Loïc Carbonnelle et Jagoda Huguenin


    Du vide au lieu : construire une place publique
    Au début des années 2000, L’EPFL projette de créer une place au centre du campus, qui prendra plus tard le nom de Place Cosandey. Mais qu’entend-on par le mot ‘‘place’’? Le terme trouve ses origines dans le latin platea, désignant un espace public large, souvent bordé de bâtiments. Dans l’imaginaire collectif, une place est avant tout un lieu de rassemblement, de rencontre, de passage, mais aussi de mémoire et d’usages quotidiens. Pourtant, toutes les places n’incarnent pas cette fonction avec la même intensité. Ainsi, la place Bellevue à Zürich s’anime grâce à l’opéra et aux commerces, tandis que la place Saint-François à Lausanne est ancrée dans une trame médiévale. La place Cosandey, quant à elle, s’est construite par étape, comme par couches successives, et semble à chaque évolution devoir réaffirmer sa légitimité. Peut-on alors encore parler d’une place?

    “Peut-on alors encore parler
    d’une place?”

    Un champ
    La place Cosandey s’inscrit dans un contexte particulier : elle est située à l’extrémité sud du campus de l’EPFL, en bordure du lac Léman. Elle occupe un site autrefois agricole, longtemps relégué à un entre-deux flou entre route cantonale et parking. Ni place fondatrice ni cœur d’un quartier, elle naît comme jointure entre différentes extensions du campus. Sa position en contrebas la rend périphérique, presque marginale, bien qu’elle ambitionne de devenir un nœud central de circulation et de rencontre. Peut-on, dès lors, transformer un espace sans qualité initiale en lieu public emblématique simplement par la volonté de le nommer « place »?

    Vue de la zone sud campus EPFL en 2008

    Un objet dans le champ

    Entre 2005 et 2010, une série de projets architecturaux majeurs modèlent le sud de l’EPFL1. Le Rolex Learning Center2, emblématique par sa forme fluide, s’impose comme un objet singulier, autonome, posé dans un paysage encore indéfini. L’idée même de construire une « place » autour de cet objet semble en tension avec sa logique propre: le Rolex est pensé pour flotter librement, non pas pour dialoguer frontalement avec un espace urbain défini. Une nouvelle place centralisée est-elle nécessaire si le Rolex occupe déjà ce rôle central d’espace public?

    Vue de la zone sud campus EPFL en 2010, après la construction du Rolex par le bureau SANAA

    Une esplanade végétalisée

    Pour structurer ce vide, le bureau Paysagestion3 imagine une grande esplanade ponctuée d’arbres et de pelouses, dans une trame circulaire. Ce geste paysager, volontairement minimal, ouvre la place à l’appropriation informelle. L’absence de programmes affaiblit fortement sa lisibilité. Les usages se cherchent, les intentions se diluent. La matérialité de l’espace, une grande dalle en béton perforé, visible depuis le ciel comme un tatouage, complique l’entretien et limite les usages possibles. Rapidement, ces perforations sont comblées pour pallier ces contraintes, mais ce correctif engendre de nouveaux problèmes : formation d’îlots de chaleur en été et mauvaise infiltration des eaux. Si l’espace se prête bien pour l’accueil du festival Balélec, il semble davantage pensé pour l’événementiel que pour la vie quotidienne. Mais une place peut-elle exister sans appropriation durable ni usages quotidiens définis?

    Vue de la zone sud campus EPFL en 2012, après l’intervention de PaysageGestion

    Une façade

    Pour renforcer la place, l’idée d’y implanter des pavillons publics émerge. ‘’Il s’agissait de concevoir, sur la Place Cosandey, un ensemble de trois pavillons. L’un destiné à accueillir un espace de démonstration des travaux de l’EPFL, le deuxième dédié au développement de scénographies futuristes pour les musées, et le dernier pour héberger le Montreux Jazz Lab, un espace multimédia d’un genre nouveau’’4 (Barraud 2012)
    Mais ce projet est abandonné, remplacé plus tard par un unique bâtiment: le EPFL Pavilions5 de Kengo Kuma. Ce volume, censé réactiver l’espace, agit paradoxalement comme une barrière. Il ferme visuellement l’accès est-ouest, accentue l’axe nord-sud et rompt l’ouverture initiale du site. Si ce bâtiment définit une première façade, il peine à créer une animation sur la place. Une façade peut-elle suffire à donner une identité à un espace si elle ne génère aucun usage en retour?

    Vue de la zone sud campus EPFL en 2017, après la construction du ‘‘ Under One Roof’’ par Kengo Kuma

    Des aménagements

    Le laboratoire ALICE6 propose une série d’interventions ponctuelles, toutes circulaires : un cercle d’entrée, une agora, une butte, un barbecue. Chacun de ces éléments tente de requalifier la place sans la transformer radicalement. Mais si l’agora, une grande estrade offrant une vue dégagée sur le lac Léman, s’avère effectivement appropriée et appréciée, comme le confirment nos entretiens avec les usagers, les autres dispositifs peinent à convaincre. Les bancs, par exemple, trop bas, sont majoritairement investis comme aires de jeu par la garderie voisine. La répétition systématique de la forme circulaire, loin d’unifier l’espace, tend à restreindre les usages et à fragmenter l’ensemble. On finit par tourner en rond. Ces interventions renforcent-elles vraiment la lisibilité de la place, ou illustrent-elles au contraire une tentative désespérée de structurer un vide par la forme seule?

    Vue de la zone sud campus EPFL en 2020, après la construction des aménagements extérieurs du laboratoire ALICE

    Une allée

    Le projet Double Deck7, prévu pour l’été prochain, ajoutera une nouvelle strate à cette composition déjà complexe. En rénovant la Coupole et en reliant la place Cosandey à celle de l’Esplanade, le campus cherche à unifier ses espaces publics. Mais, depuis 2010, chaque nouvelle intervention8 semble répondre à une logique autonome, sans vision d’ensemble claire. Dans le même ordre, la place Cosandey, n’échappe pas à ce destin, et devient ainsi un patchwork d’intentions accumulées. Jusqu’où peut-on superposer des projets successifs sans compromettre l’unité, la cohérence, voire l’identité même, d’un lieu ?

    Vue futuriste de la zone sud campus EPFL après la construction du Double Deck prévu en 2029

    Une place?

    La place Cosandey semble réunir, en apparence, tous les attributs d’une place : une ouverture, des aménagements, des axes de circulation. Pourtant, elle paraît dénuée de ce qui fonde véritablement une place : une nécessité, une pratique quotidienne, une logique spatiale partagée. Le Rolex Learning Center, pensé à l’origine comme un objet autonome posé dans un champ ouvert, aurait-il dû rester isolé, sans tentative de l’intégrer à une place artificiellement construite autour de lui ?

    Ces constats mènent à une interrogation plus fondamentale : fallait-il vraiment créer une nouvelle place sur le campus ?

    L’EPFL dispose déjà de deux espaces publics aux fonctions bien établies. L’Esplanade, au cœur du campus, est située à un croisement de flux. Elle est animée par une cafétéria et bien encadrée par des bâtiments actifs. Elle incarne les qualités classiques d’un espace public réussi. Pourquoi ne pas avoir renforcé ce lieu, dont la vocation est déjà affirmée ?

    Plus au nord, devant le bâtiment d’architecture, une autre place, plus confidentielle, offre un espace d’exposition intégré au tissu du campus. Dans ce contexte, pourquoi avoir construit le pavillon ArtLab, alors qu’un espace d’exposition existait déjà à quelques pas ?

    Ces deux lieux offrent déjà des usages riches et différenciés. Alors, quel programme manquant justifierait l’aménagement d’un nouvel espace d’une telle ampleur ? Tout porte à croire que Balélec, constitue la véritable motivation. Un événement d’une telle importance semble, aux yeux de l’institution, mériter son propre espace.

    Ceci n’est pas une place. Ceci est l’espace du Balélec.

    Notes
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    1. Les Estudiantines, le Sterling Hotel, l’Innovation Park, les deux passages inférieurs, la qualification de la RC1 et le Rolex Learning Center.
    2. Rolex Learning Center, SANAA, concours 2004, construction 2010
    3. Mandat remporté sur concours avec exécution partielle, entreprise générale, en 2012.
    4. Emmanuel Barraud, Un pavillon expérimental, 2012.
    5. Under One Roof, Kengo Kuma, concours 2012, construction 2016.
    6. Laboratoire de la conception de l’espace, ALICE, mandaté pour un projet d’étudiant sous forme de Workshops.
    7. Le projet Double Deck comprend la transformation de l’Esplanade et la rénovation de la Coupole. Dominique Perrault. Travaux prévus en 2025-2029.
    8. Rolex Learning Center 2010, l’EPFL Innovation Park 2014, Swiss Convention Center 2014, Art Lab 2016.

    Sources
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    Entretien avec les usagers de la place
    Entretien avec Pierre Gerster – Chef de service, construction gestion – EPFL
    Entretien avec Vincent Karl Constantin – Chef de projet,
    espaces extérieurs, gestion – EPFL
    Entretien avec Sonia Curnier – Professeure et chercheuse –
    Laboratoire de sociologie urbaine

    Images réalisées par Jagoda Huguenin